vendredi 24 mai 2013

Je hais la musique

Je publie ici un billet qu'un ami musicien accepta d'écrire après que je lui eus demandé de préciser son rapport à la musique. N'ayant pas souhaité exposé son nom, il m'a laissé le choix quant au pseudonyme qui lui conviendrait le mieux. Et c'est avec une joie à peine retenue que j'exerce ce pouvoir accordé et que je le nomme (roulement de rochers): Polyphénol :)
"Ô temps délicieux des vieux bergers grecs ..." R.
Place au buveur de lait !
Scons Dut

Je hais la musique

Tu me demandes, Scons, de décrire mon rapport à la musique, c'est-à-dire, j'imagine, de trouver une sorte de formule condensée de la façon dont "je vis la musique", comme disent la plupart des gens. Et c'est une question qui se pose souvent, en effet, à quiconque prétend faire de la musique son métier. Mais vois-tu, il faut dès le départ distinguer celui qui exerce un métier et celui qui parle de ce même métier; puisqu'après tout le criminel qui pratique l'injustice est-il le mieux pourvu lorsqu'il s'agit de définir l'injustice ? Cette chose étant dite, tu ne m'en voudras pas trop, je l'espère, si le témoignage que j'apporte se révèle inutile à la réflexion que tu sembles avoir entreprise à propos de la musique.

Tu le sais, et nos nombreuses discussions l'ont suffisamment montré, que je m'efforce la plupart du temps à poser un avis modéré sur les choses, j'essaye dans la mesure du possible d'ordonner mes arguments, de les comparer à ceux qui viennent d'être avancés et je suis toujours prêt à approuver une erreur que j'aurais pu commettre lorsqu'une preuve suffisante et honnête m'est présentée. Tu sais bien cependant que nous autres, pauvres humains, ne sommes pas infaillibles :) Chacun de nous a ses moments de faiblesses, ses accès immodérés voire même complètement déraisonnables. Chez moi, ce moment est tout simplement la musique. Puisqu'il est impossible d'être irréprochable en toute chose, je voudrais que ma seule démesure soit la musique. C'est une chose étrange, mais dans cette cocotte-minute qu'est mon esprit, je mobilise toutes mes forces pour ne pas exploser et me répandre lamentablement sur le carrelage de la cuisine, et je ne demande que cette unique chose, cette simple chose: que la soupape d'évacuation soit la musique. D'autres la placent ailleurs, à chacun sa démesure. 

Cette métaphore un peu ridicule indique assez bien, c'est-à-dire plutôt mal, ma relation à la musique. Disons que c'est une relation tendue, extrêmement tendue, pour laquelle je n'ai pas trouvé mieux que de parler de haine pure. Voilà, c'est dit ! Je hais la musique, d'une haine pure. Le trait est un peu provocant, je l'avoue. Aurais-je dit que j'aimasse la musique qu'aussitôt une foule d'idées molles et sirupeuses seraient venues s'agglutiner à ma formule. Non ! Je ne suis pas écrivain, je n'ai pas toute la palette pour préciser les divers degrés de l'amour; ainsi donc, faut-il que je parle de haine, aussi maladroit soit ce terme.

Je ne voudrais cependant pas laisser à tes lecteurs et lectrices, l'impression vague que peuvent susciter les paragraphes précédents ou, plus précisément, la gaucherie de ma prose. Imaginons une situation où on fait découvrir à un auditeur une oeuvre musicale qu'il n'a jamais ni vue ni entendue. Ce que j'exècre par dessus tout, c'est l'attitude de celui qui essaiera d'adjoindre à son écoute une série de métaphores, comme des symboles cachés dans ou derrière les sons. Ce mauvais auditeur, par une mollesse que je ne m'explique pas, invoque un monde de rêves et de merveilles, ou d'horreurs et de cauchemars, monde lourd qu'il applique à l'oeuvre sans même la regarder ni l'écouter. Forcément, sous un tel poids de significations alambiquées, totalement amusicales, l'oeuvre plie et se brise. Ce mauvais auditeur est un mauvais ennemi, une espèce d'enfant idiot qui écrase l'oeuvre comme on écrase une fourmi. Ce mauvais auditeur méprise l'oeuvre. Je la hais, ce n'est pas pareil. Nul n'est tenu, après tout, de parler d'une oeuvre après l'avoir écoutée, mais s'il en parle et s'il veut la partager, il faut au moins qu'il soit plus attentif à celle-ci, au lieu de parler de lui-même, de ce qu'il a "ressenti au fond de ses tripes". Qui se soucie de ses problèmes gastriques !

Aussi quand je parle d'une oeuvre, soit parce que je l'estime intéressante, soit parce qu'on me l'a demandé, j'adopte généralement une approche technique. Une telle approche admet ses raffinements, mais, pour donner quelques exemples, il s'agit de demander comment l'oeuvre est divisé dans le temps, quels sont les instruments utilisés, comment s'agencent-ils, quels timbres sont formés, comment telle ligne mélodique s'inscrit dans la trame rythmique de tel passage, etc ... Souvent, on me reproche d'être trop "cérébral", en arguant du fait que la musique ne se réduit pas à ceci, à cela. En tout cas, la musique ne se réduit certainement pas aux mouvements intestins du mauvais auditeur ! Et si mon approche est soi-disant cérébral, c'est parce que précisément je ne suis pas en train de faire de la musique, mais bien d'en parler. Qui plus est, il s'agit d'en parler pour que mes interlocuteurs comprennent la partie de l'oeuvre qui soit transmissible par la parole. Est-ce à dire que la parole épuisera toute la substance de l'oeuvre ? Forcément non, auquel cas, on se contenterait d'en parler au lieu de l'écouter. Le mauvais auditeur est quelqu'un qui écoute peut-être, mais qui parle mal; tout ce que je lui conseille, c'est de se taire.

Quant à savoir comment l'audition d'une oeuvre musicale peut être modifiée par la connaissance de sa structure logique, je veux dire sa structure liée à la parole, c'est une question qu'il faut poser au philosophe. Je ne peux que constater qu'effectivement, la chose se passe ainsi. Précisément, en écoutant la musique pour ce qu'elle est, c'est-à-dire un complexe de sons organisés, on accède, d'une façon qui m'est tout à fait incompréhensible, à des sensations qui peuvent se traduire (mal) par ces fameux mouvements intestins.

Voilà, à propos de mon rapport à la musique, en dire plus serait tout à fait superflu. Je l'ai rappelé au début, la musique est la seule chose où je m'autorise de tels excès et des avis aussi tranchés. Je te prie donc de prévenir les philosophes de prendre mes propos comme un simple témoignage; témoignage d'un criminel, qui plus est. 

Quoiqu'il en soit, je te l'ai déjà dit, et je le répète, tu peux le publier sur ton blog, mais je te demanderais de ne pas y révéler mon vrai nom. Si tu tiens vraiment à un nom d'auteur, je te laisse le choix. Mais choisis m'en un sympa :) Aussi, je reste ouvert à d'autres entrevues de ce genre, et je serai ravi, comme tu l'as proposé, d'analyser une oeuvre que tu m'auras soumise dans la mesure de mes capacités. Sur ce, bonne continuation.
Polyphénol


Les philosophes l'auront entendu, je l'espère. C'est un témoignage tranchant, c'est le moins qu'on puisse dire. Ô pauvre Cyclope benzénique, heureusement, Ulysse ne t'aura pas crevé les tympans :)
Scons Dut

jeudi 23 mai 2013

Aristote - Les Catégories (1)

J'ai décidé de commencer une série de billets consacrés à Aristote. Non pas que je me crois suffisamment instruite pour vous en révéler les subtilités profondes; je n'en suis pas là. Mais simplement parce qu'étant ignorante de ces affaires, j'estime que le chemin que je suivrai sera vraisemblablement praticables par d'autres ignorants comme moi. Et si par hasard, alors que nous nous reposons près d'une source fraîche, il nous vient un marcheur plus aguerri, je l'inviterai à s'asseoir un moment près de nous, afin qu'il nous indique la meilleure route.

Ma méthode, si tant est qu'on puisse appeler cela une méthode, consistera en un résumé d'un ouvrage, une sorte d'esquisse générale à l'intérieur de laquelle chacun sera libre de venir détailler les parties. Je tenterai d'apporter quelques précisions sur telle ou telle section dans la mesure où celle-ci m'aura paru digne d'être mise en avant. Je suppose que nous arriverons ainsi à une sorte de grande carte maritime où j'aurai pu, à l'aune de mes capacités, installer ça et là quelques phares; en espérant que ceux-ci puissent venir en aide aux pauvres internautes qui se seraient échoués sur ces sombres rivages :)

Pour ce qui est de ma motivation, voilà qui est dit. Commençons.

 Présentation

Le plus beau site du monde nous informe que les Catégories d'Aristote ouvrent la série des traités de l'Organon. Ces écrits forment le corpus principal de la logique aristotélicienne et les idées qui y sont exposées me semblent traverser toute l'oeuvre d'Aristote. Notez, au passage, que mes premières lectures  se sont heurtées aux nombreuses auto-références qu'Aristote opère dans ses écrits. Ainsi, il est très difficile de répondre à la question de l'ordre de lecture de ses ouvrages, mais puisqu'il faut bien commencer quelque part, j'ai cru bon de choisir les Categories.

Toujours selon wikipedia, les catégories se proposent d'élucider les différentes façons dont le terme ``être'' peut se dire, peut être lié à d'autres termes, etc ... Le mot catégorie vient du grec katègorein (κατηγόρειν) qui signifie accuser. Les catégories sont donc les différentes façons d'accuser, les différentes façons de désigner ce qui est en général. Dit encore autrement, les catégories sont les modes de significations de l'être en général. Elles sont les différentes manières de signifier quelque chose avec le verbe être. Pour mieux comprendre ces remarques, on peut dire, en première approximation, que lorsque nous faisons des phrases (des propositions), nous combinons entre eux différents termes et que chacun de ces termes fait partie d'une catégorie particulière. Ainsi, Aristote se propose ni plus ni moins que de classifier tous les termes qui peuvent entrer en combinaison pour former une proposition.

Notez qu'Aristote s'exprime en grec (ancien), et qu'un certain nombre de ses remarques portent sur des spécificités du grec qu'on ne retrouve pas en français (les déclinaisons par exemple). Mais ce serait mauvaise foi que de supposer que rien de ce qu'il dit n'est transposable à notre langue, et ce d'autant plus que les Catégories ne sont pas un ouvrage de grammaire à proprement parler.

La structure générale de l'ouvrage emprunte l'organisation suivante:
  1. Homonymes, synonymes, paronymes
  2. Des différentes expressions
  3. Prédicats, genres et espèces
  4. Catégories
  5. Substance
  6. Quantité
  7. Relation
  8. Qualité
  9. Les autres catégories
  10. Opposés
  11. Contraires
  12. Priorité ou antériorité
  13. Simultanéité
  14. Mouvement
  15. Possession
Les trois premiers chapitres introduisent un certain nombre de notions fondamentales. Le chapitre 4 présente les (10) catégories dans leurs grandes lignes, tandis que les chapitres 5 à 9 procèdent à un examen détaillé de chacune d'elles. Les chapitres 10 à 14 s'intéressent à diverses façons de combiner des termes entre eux. Enfin, le dernier chapitre étudie quelques particularités du verbe "avoir".

La série de billets que j'entame ici a pour objectif de résumer et/ou de commenter chacun des chapitres sus-mentionnés. Le texte des Catégories est disponible en bilingue français/grec ici. La plupart de mes références renverront au découpage employé sur ce site. Je ne sais pas, hélas, si le découpage employé est commun à toutes les éditions, et je m'excuse par avance à ceux qui n'auraient pas accès à ce site. Maintenant que les présentations sont faites et les précautions prises, commençons.

1. Homonymes, synonymes, paronymes

Dans ce chapitre (paragraphe 1), Aristote introduit quelques précisions importantes quant à la relation entre la définition d'une chose, et le nom de cette chose. Je voudrais d'emblée attirer l'attention du lecteur sur le fait que, là où je dis ``chose'', Aristote emploie le terme ``ousia'' (οὐσία), c'est-à-dire, ``substance'', ``ce qui est''. Cette notion s'avérera être d'une importance capitale dans la suite, mais pour l'instant, je la traduis simplement par ``chose''. Par exemple, cet homme en particulier est une chose, le cheval en général est une chose, la couleur blanche en général est une chose; bref, est une chose tout ce qui peut être le sujet (au sens grammatical) dans une phrase simple comportant le verbe ``être''.

A chaque chose est associée une appellation, c'est-à-dire un nom ou une désignation (onoma, ὄνομα), et une définition (logos, λόγος). Le nom est le mot par lequel on se réfère à la chose. La définition est ce qui définit la chose, c'est-à-dire, ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est et pas autre chose.

Nous avons l'habitude (en tout cas j'ai cette habitude) de penser la distinction nom/définition d'une manière analogue à celle d'un dictionnaire. De ce point de vue, le nom est un symbole (une succession de lettres) et la définition est une explication de ce symbole, un discours qui tente de dégager de manière univoque le sens de ce symbole, sa signification. Certains auront peut-être été surpris que l'on traduise ``logos'' par ``définition'', puisqu'il est généralement traduit par ``raison'' ou ``discours''; mais avec ce que nous venons de dire, il est assez claire que la définition d'un mot dans un dictionnaire est bien une sorte de discours qui révèle le sens de ce mot. De plus, tout ceux qui se sont déjà référé à un dictionnaire savent que le texte qu'on appelle définition est souvent insuffisant pour caractériser un mot; on trouve souvent ce texte un peu court, et pour certains mots on aurait aimé un texte plus fourni. En fait, on aurait aimé une définition plus complète, et on est estime que le texte n'est qu'une définition partielle car il n'exprime pas avec suffisamment de clarté ce que le mot signifie, ce que la chose désignée par ce mot est exactement. Aussi, lorsqu'Aristote evoque le ``logos d'une chose'', ne faut-il pas se laisser duper par la traduction en ``définition de la chose'', comme s'il parlait d'une définition du type de celles qu'on retrouve dans un dictionnaire. Non, le ``logos d'une chose'' est sa définition complète, ce qu'il fait qu'elle est ce qu'elle est. Dit encore autrement, je dirais que la chose est la signification du nom qu'on lui attribue, tandis que la définition est le discours par lequel cette signification nous est révélée.

Ces précisions, qui peuvent paraître aller de soi, sont essentielles pour comprendre les notions de synonymes, d'homonymes et de paronymes chez Aristote, car ces notions ont une portée plus générale que celle que nous leur attribuons habituellement. Commençons par la notion d'homonymie. Nous avons tous appris que deux choses sont homonymes lorsque ces choses portent des noms semblables (e.g. même prononciation, ou orthographes semblables) alors qu'elles sont différentes. Ainsi le terme ``mine'' renvoie tantôt à la mine comme réseau de grottes creusées dans la terre, tantôt à la mine de crayon. Aristote énonce ainsi que deux choses sont homonymes lorsqu'elles portent le même nom mais ont des définitions différentes. Jusqu'ici, cette façon de voir nous est encore familière.

La notion de synonyme chez Aristote est bien différente de la nôtre. Nous appelons habituellement synonymes deux choses qui ont la même définition malgré des appellations différentes, comme ``automobile'' ou ``voiture''. Chez Aristote, ce n'est pas du tout ça. Pour lui, deux choses sont dites synonymes lorsqu'elles portent le même nom et qu'elles ont la même définition. Pour comprendre cette subtilité, prenons l'exemple des termes ``bleu'' et ``jaune'': ces deux termes tombent sous l'appellation ``couleur''; de plus ce qui fait que le ``bleu'' est une ``couleur'' est identique à ce qui fait que le ``jaune'' est une ``couleur''. Ainsi, le terme ``couleur'' s'applique synonymiquement (sic) aux termes ``bleu'' et ``jaune''. Revenons un instant sur la notion d'homonyme en prenant comme exemple un homme qui s'appelerait Jean-Mi, et une photographie de ce même homme. Le terme ``Jean-Mi'' s'applique aussi bien à l'homme concret qu'à l'homme représenté sur la photo, mais ce qui fait que cet homme-ci est ``Jean-Mi'' n'est pas identique à ce qui fait que l'homme représenté sur la photo est ``Jean-Mi''. Ainsi, le terme ``Jean-Mi'' s'applique homonymiquement (sic) aux choses ``cet homme là'' et ``l'homme sur la photo''.

Comme il est plus facile de retenir un schéma qu'un long texte, voici une reprise pseudo-formelle de ce que nous venons de dire. Soient A, B et C trois choses tels que nom(B) = nom(C) = nom(A). Désignons par def(B/A) et def(C/A) les définitions de B et C expliquant leurs rapports avec A respectivement. On dira que A s'applique à B et C de manière homonyme si def(B/A) est différent de def(C/A). Et on dira que A s'applique à B et C de manière synonyme si def(B/A) est identique à def(C/A).

La dernière notion de paronymie est moins difficile que les précédentes, et il ne me semble pas qu'elle soit utilisée plus tard dans l'ouvrage (à vérifier cependant). Deux choses sont dites paronymes lorsque leurs dénominations diffèrent par la terminaison et seulement par elle. Par exemple, grammaire et grammairien, courageux et courage. Simplicius remarquait que, d'une certaine façon, les paronymes partagent la même définition, le même nom (plutôt la même racine du nom) et ne diffèrent que par la terminaison, c'est-à-dire, que par une fonction grammaticale. Les paronymes sont donc un intermédiaire entre homonymes et synonymes.

Pour ce qui est du chapitre sur les synonymes, les homonymes et les paronymes, voilà qui est fait.

Scons Dut

dimanche 19 mai 2013

Réponse à : La salle d'embarquement.

Je ne pensais pas que mon premier article eusse pu susciter la réaction que je m'apprête à vous rapporter, et pourtant ... Quelques jours après sa publication, je reçois un courriel très étrange d'un certain Tyron (une référence ??). Vraiment étrange ... Je ne saurais pas le qualifier autrement, et je dois avouer que les mots me manquent. En observant la chose de loin, comme cette habitude que chacun a de faire un pas en arrière pour mieux apprécier une chose un peu compliqué, il me semble bien qu'il s'agisse d'un mail d'insulte. Un reproche diront certains ? Peut-être. Il y a là quelque chose de très inhabituelle, du moins pour moi, dans la mesure où cette insulte est relativement diffuse, où le simple fait de s'approcher en dissipe toutes les implications. Il semble que, placé au plus près du texte, nous ayons une espèce de ... récit ?? Bref, il vaut mieux que je lui cède ici la parole. Ah oui, certains diront "d'où tirez-vous la permission de publier un texte sans l'autorisation de l'auteur ?!!". Jugez plutôt.
Scons Dut

@ Scons Dut (Mr. ou Mme ? Animal plutôt !)
à propos de "La salle d'embarquement"

Ca ne va pas du tout, et il faut que je vous le dise. Je viens de lire votre article sur les salles d'embarquement. C'est vrai, c'est à la mode maintenant, on peut ouvrir son blog, venir y professer ses  leçons de "bonnes pratiques" comme vous dites, etc ... bon et ensuite ! L'animal découvre le français correct, pense avoir du style en imbriquant deux subordonnées, propositions à partir desquelles, enclavant ses quignons d'idées, il se propose de gloser sans fin, multipliant les participes présents, ouvrant toujours de nouvelles virgules dans un espace sans fin d'autoréfléxions qui, mimant l'effort de pensée, n'en est pas moins que la plus pâle des ombres. Comme ce procédé est facile ! 

Faut-il croire que l'anonymat s'accompagne toujours de cette nonchalance hautaine ? Mais pour qui vous prenez-vous ? Pourquoi, dites le nous, pourquoi écrivez-vous un tel article ? Voilà la question que je pose. Et voilà ce que je veux que vous fassiez. Tout d'abord, vous l'avez remarqué, je n'écris pas en commentaire de votre article. Et puis quoi ! pour qu'il soit enfoncé sous la masse des autres commentaires ? l'affaire est trop importante. Je veux que vous publiiez ce que j'ai à vous dire. Peu importe la méthode, vous pouvez reprendre ce mail intégralement, corriger les fautes si vous voulez. M'enfin, je ne peux évidemment pas vous forcer la main; en tout cas ma volonté est claire.

Sachez que je ne vous en veux pas vraiment. Simplement, en vous lisant, je devine votre jeunesse. Et il est plaisant à cet âge de s'essayer à plusieurs styles de pensée. Non ? Allez, voici le premier, c'est le printemps, ça bourgeonne, ça papillonne. On butine à telle fleur, puis à une autre. On se poudre de tous les pollens, on boit à toutes les sources d'eau claires. Le soleil se couche derrière le versant bombé de la belle colline, et voilà, la nuit arrive sur la terre et dans votre esprit. Le lendemain tout repart, le beau recommencement, l'éternel jeunesse. Mais attention, dans cette tendreté de l'esprit, les sources, les fleurs, les papillons et la lune, tout ça commence à graver ces plis animaux. Voilà la première dureté de l'esprit, contracté sans souci, même pas vue. De toutes façons, il est midi, c'est déjà l'été, il faut aller au bain, à la rivière aux belles nymphes, pour leur chanter en grec des théogonies. Mais voilà, l'hiver approche, et moi je suis l'automne. J'annonce, et mes lettres, comme les feuilles, tombent couleur de feu.

J'ai bien vu dans cet article, poindre l'ironie moqueuse, le petit art savant de la disposition prétendument rationnelle. Je vois ce pli contracté, et j'annonce. J'ai bien vu aussi que de c e petit piédestal, dépassant de deux poils la tête des autres, vous prenez la pose d'un entomologiste, et vous piquez sur des cartons numérotés les caractères humains. Ah la belle affaire. Le pire, c'est que vous ayez raison sur ce sujet, sur ces salles d'embarquement. Mais voyez vous, l'eau de la source est fraîche et le nectar est doux. Et le pli est contracté, et moi j'annonce.

Vous décrivez le schéma de la salle d'embarquement, vous décrivez le schéma de l'avion. Vous piégez le lecteur dans une confidence. Vous lui dites comment fonctionne la chose, et le voilà qui vous suit, moquant comme vous, ces bêtes de passagers qui ne savent pas. Et voilà l'exorde, point d'orgue, la scène est mise en place, et vous faites entrer vos personnages. Le lecteur les connaît, vous lui avez suggéré la fin. "Et pourtant ..." comme vous dites, c'est l'élément perturbateur, c'est le noeud, la cohue, la bêtise, le chaos de la "boule d'attente" succédant l'ordre ordonné de la "file d'attente". Et le dénouement ? C'est votre pli ! Vous préparez tout, le lecteur s'engage et vous reconnaît deus ex machina. Depuis le début, on s'en doutait.

Ainsi je vous en prie. Cessez ce petit jeu. Quelles conséquences sur les esprits tendres ? sur le vôtre ? La calcification menace et vous et vos lecteurs. Alors l'hiver est arrivé. Et moi j'ai tranché.
Tyron
Fin du courriel

Vous l'aurez compris, cher lecteur calcifié :), je l'espère, mon désarroi ... Je crois comprendre certaines parties de ce discours  (le paragraphe dans les prairies fleuries est même assez plaisant), mais d'autres restent pour moi de véritables mystères. Et si j'ai décidé de publier ce courriel, conformément aux souhaits de Tyron, c'est parce que j'espère que l'un d'entre vous pourra m'éclairer sur cette affaire. Dois-je ajouter que je ne pensais pas à mal en écrivant ce billet sur les salles d'embarquement ? ...
Scons Dut

dimanche 12 mai 2013

La salle d'embarquement.

Drôle d'idée, n'est-ce pas, que de publier un billet sur les salles d'embarquement. D'ailleurs, il s'agit plus d'une mise au point que d'un véritable billet. Certains me diront qu'il s'agit là de choses évidentes, que de tels sujets ne méritent pas qu'on y passe autant de temps. Et ils auront parfaitement raison; sur le premier point en tout cas. Pour le temps à y consacrer, je ne crois pas qu'il soit excessif puisqu'il correspond, peu ou prou, à la durée d'un brossage de dents, et que ce que je m'apprête à raconter partage avec cette dernière activité un souci commun : l'hygiène. Je vous propose donc, sans ambages, un ensemble de bonnes pratiques qui, arguments à l'appui, assureront la bonne humeur générale dans les cas les plus courants.

1. Définition et description

Commençons. La plus belle fédération de bonnes volontés  (http://fr.wikipedia.org/wiki/Salle_d'embarquement) nous informe qu'une salle d'embarquement est une pièce où des passagers attendent avant de pouvoir monter dans un avion ou dans un navire. Je ne parlerai pas ici du cas des navires, qui relève d'une approche radicalement différente bien qu'elle ne soit pas complètement hors de notre propos. On pourra se figurer, pour clarifier les choses, une simple pièce fermée, avec ou sans visibilité sur les pistes, dans un coin de laquelle se trouve un bureau, où attendent deux agents de l'aéroport, Alice et Bob, et un accès vers un long couloir C1 conduisant à l'avion (passons sur le cas où l'accès à bord oblige de marcher sur la piste). Il est important de noter dès à présent que ce couloir C1 est relativement étroit, ne pouvant contenir en largeur que deux ou trois norvégiens moyens dans sa partie la plus large. 

Au bout de ce couloir se trouve la porte d'entrée de l'avion, où généralement un personnel navigant en cabine (PNC) accueille les passagers. Prenons, pour garder les choses simples encore une fois, un avion type Airbus A320, 165 sièges avec simple couloir central (Fig. 1). 

Fig. 1
L'entrée s'effectue à l'avant gauche de l'appareil, et les passagers sont invités à rejoindre leurs sièges en empruntant le couloir central C2. Noter que l'entrée est unique et qu'il n'est donc pas possible d'atteindre les places situés à l'arrière de l'appareil sans longer la totalité du couloir. Par ailleurs, la largeur de ce couloir est réduite à simplement un norvégien moyen, ce qui empêche tout dépassement respectant les codes de la bienséance (penser aux frottements inopportuns que cela peut occasionner). Il faut également noter que la cabine est pourvue de coffres à bagages situés au-dessus des sièges des passagers. L'ouverture s'effectue par le couloir central, la porte du coffre se déployant du bas vers le haut, ou l'inverse selon les cas (Fig. 2).
Fig. 2

2. Situation archétypale

Revenons à la salle d'embarquement. Les passagers, après avoir enregistré leurs éventuels bagages et passé les différents contrôles, avec quelques déconvenues pour certains, attendent dans notre salle d'embarquement en scrutant périodiquement les différents écrans d'information ainsi que le bureau d'accueil des passagers à l'entrée du couloir C1. Cette frénésie oculaire est d'autant plus intense que l'heure d'embarquement se rapproche. Dans les cas où l'embarquement est retardé, cette agitation peut se muer en soupirs sonores, voire en plaintes  claironnées. Chacun des passagers est muni d'un billet d'embarquement où figurent, entre autres, son prénom, son nom et son numéro de siège.

L'ouverture de l'embarquement est généralement annoncée à travers les nombreux haut-parleurs qui ornent la salle, par un des agents assignés au bureau d'accueil. Bien entendu l'accès est fermé avant cet appel, mais cela n'empêche pas certains à commencer à faire la queue environ dix à quinze minutes avant l'heure. L'annonce de l'ouverture procède par étapes, chaque étape correspondant à une classe particulières de passagers invités à monter à bord. Ainsi sont invités à embarquer, les passagers membres d'une des confréries avioniques (première classe, skyteam, ...), les personnes handicapés, les femmes enceintes, et les parents munis d'enfants en bas âge.

Le reste des passagers est censé monter dans l'ordre assigné par leurs numéros de sièges. Ce qui donne dans l'ordre : les passagers assis à l'arrière de l'appareil, puis les suivants jusqu'au passagers situés à l'avant de l'appareil. Cet ordonnancement est lié à l'étroitesse du couloir central, et au fait que de nombreuses personnes prennent un temps plus ou moins long à ranger leurs affaires dans les coffres à bagages.

3. Et pourtant ...

Et pourtant, bien que les sièges soient nominatifs, bien que les agents du bureau d'accueil fassent des efforts surhumains de politesse et de courtoisie pour indiquer le plus calmement possible au passager qui tente par tous les moyens d'accéder à bord avant les autres, que son numéro de siège ne fait pas partie des numéros appelés et qu'il lui est nécessaire de faire la queue, il y a une sorte de frayeur injustifiée qui pousse ce passager à croire qu'il risque de manquer son avion, malgré toutes les confirmations qu'on aura pu lui fournir. Cette frayeur, légère pour certains, accablante pour d'autres provient, je le crois, d'une ignorance de l'étiquette qui préside à l'embarquement. Cette disposition individuelle se traduit au niveau du groupe par la transformation subreptice de la file d'attente en une boule d'attente s'effilochant au point le plus éloigné de la porte d'embarquement. Bien sûr, cela n'encourage pas les individus à s'organiser davantage, ni à tempérer leur agacement. Les plus honnêtes se trouvent fortement désemparés, ne sachant plus où situer leur place dans la file d'attente; cela est source de multiples injustices, minimes certes, mais présentes tout de même.

En ce qui concerne la description de la salle d'embarquement, de la configuration de la cabine d'un avion et de la façon dont celles-ci organisent la procédure générale d'embarquement, en ce qui concerne les dispositions psychologiques des passagers et les dérives qu'elles entraînent, voilà qui est dit. Vous voici donc informé, désormais, et vous saurez, lorsque la situation se présentera, user de votre raison. Ce n'est que par un effort commun que nous parviendrons à lever ce mal, aussi petit soit-il.

Scons Dut