jeudi 23 mai 2013

Aristote - Les Catégories (1)

J'ai décidé de commencer une série de billets consacrés à Aristote. Non pas que je me crois suffisamment instruite pour vous en révéler les subtilités profondes; je n'en suis pas là. Mais simplement parce qu'étant ignorante de ces affaires, j'estime que le chemin que je suivrai sera vraisemblablement praticables par d'autres ignorants comme moi. Et si par hasard, alors que nous nous reposons près d'une source fraîche, il nous vient un marcheur plus aguerri, je l'inviterai à s'asseoir un moment près de nous, afin qu'il nous indique la meilleure route.

Ma méthode, si tant est qu'on puisse appeler cela une méthode, consistera en un résumé d'un ouvrage, une sorte d'esquisse générale à l'intérieur de laquelle chacun sera libre de venir détailler les parties. Je tenterai d'apporter quelques précisions sur telle ou telle section dans la mesure où celle-ci m'aura paru digne d'être mise en avant. Je suppose que nous arriverons ainsi à une sorte de grande carte maritime où j'aurai pu, à l'aune de mes capacités, installer ça et là quelques phares; en espérant que ceux-ci puissent venir en aide aux pauvres internautes qui se seraient échoués sur ces sombres rivages :)

Pour ce qui est de ma motivation, voilà qui est dit. Commençons.

 Présentation

Le plus beau site du monde nous informe que les Catégories d'Aristote ouvrent la série des traités de l'Organon. Ces écrits forment le corpus principal de la logique aristotélicienne et les idées qui y sont exposées me semblent traverser toute l'oeuvre d'Aristote. Notez, au passage, que mes premières lectures  se sont heurtées aux nombreuses auto-références qu'Aristote opère dans ses écrits. Ainsi, il est très difficile de répondre à la question de l'ordre de lecture de ses ouvrages, mais puisqu'il faut bien commencer quelque part, j'ai cru bon de choisir les Categories.

Toujours selon wikipedia, les catégories se proposent d'élucider les différentes façons dont le terme ``être'' peut se dire, peut être lié à d'autres termes, etc ... Le mot catégorie vient du grec katègorein (κατηγόρειν) qui signifie accuser. Les catégories sont donc les différentes façons d'accuser, les différentes façons de désigner ce qui est en général. Dit encore autrement, les catégories sont les modes de significations de l'être en général. Elles sont les différentes manières de signifier quelque chose avec le verbe être. Pour mieux comprendre ces remarques, on peut dire, en première approximation, que lorsque nous faisons des phrases (des propositions), nous combinons entre eux différents termes et que chacun de ces termes fait partie d'une catégorie particulière. Ainsi, Aristote se propose ni plus ni moins que de classifier tous les termes qui peuvent entrer en combinaison pour former une proposition.

Notez qu'Aristote s'exprime en grec (ancien), et qu'un certain nombre de ses remarques portent sur des spécificités du grec qu'on ne retrouve pas en français (les déclinaisons par exemple). Mais ce serait mauvaise foi que de supposer que rien de ce qu'il dit n'est transposable à notre langue, et ce d'autant plus que les Catégories ne sont pas un ouvrage de grammaire à proprement parler.

La structure générale de l'ouvrage emprunte l'organisation suivante:
  1. Homonymes, synonymes, paronymes
  2. Des différentes expressions
  3. Prédicats, genres et espèces
  4. Catégories
  5. Substance
  6. Quantité
  7. Relation
  8. Qualité
  9. Les autres catégories
  10. Opposés
  11. Contraires
  12. Priorité ou antériorité
  13. Simultanéité
  14. Mouvement
  15. Possession
Les trois premiers chapitres introduisent un certain nombre de notions fondamentales. Le chapitre 4 présente les (10) catégories dans leurs grandes lignes, tandis que les chapitres 5 à 9 procèdent à un examen détaillé de chacune d'elles. Les chapitres 10 à 14 s'intéressent à diverses façons de combiner des termes entre eux. Enfin, le dernier chapitre étudie quelques particularités du verbe "avoir".

La série de billets que j'entame ici a pour objectif de résumer et/ou de commenter chacun des chapitres sus-mentionnés. Le texte des Catégories est disponible en bilingue français/grec ici. La plupart de mes références renverront au découpage employé sur ce site. Je ne sais pas, hélas, si le découpage employé est commun à toutes les éditions, et je m'excuse par avance à ceux qui n'auraient pas accès à ce site. Maintenant que les présentations sont faites et les précautions prises, commençons.

1. Homonymes, synonymes, paronymes

Dans ce chapitre (paragraphe 1), Aristote introduit quelques précisions importantes quant à la relation entre la définition d'une chose, et le nom de cette chose. Je voudrais d'emblée attirer l'attention du lecteur sur le fait que, là où je dis ``chose'', Aristote emploie le terme ``ousia'' (οὐσία), c'est-à-dire, ``substance'', ``ce qui est''. Cette notion s'avérera être d'une importance capitale dans la suite, mais pour l'instant, je la traduis simplement par ``chose''. Par exemple, cet homme en particulier est une chose, le cheval en général est une chose, la couleur blanche en général est une chose; bref, est une chose tout ce qui peut être le sujet (au sens grammatical) dans une phrase simple comportant le verbe ``être''.

A chaque chose est associée une appellation, c'est-à-dire un nom ou une désignation (onoma, ὄνομα), et une définition (logos, λόγος). Le nom est le mot par lequel on se réfère à la chose. La définition est ce qui définit la chose, c'est-à-dire, ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est et pas autre chose.

Nous avons l'habitude (en tout cas j'ai cette habitude) de penser la distinction nom/définition d'une manière analogue à celle d'un dictionnaire. De ce point de vue, le nom est un symbole (une succession de lettres) et la définition est une explication de ce symbole, un discours qui tente de dégager de manière univoque le sens de ce symbole, sa signification. Certains auront peut-être été surpris que l'on traduise ``logos'' par ``définition'', puisqu'il est généralement traduit par ``raison'' ou ``discours''; mais avec ce que nous venons de dire, il est assez claire que la définition d'un mot dans un dictionnaire est bien une sorte de discours qui révèle le sens de ce mot. De plus, tout ceux qui se sont déjà référé à un dictionnaire savent que le texte qu'on appelle définition est souvent insuffisant pour caractériser un mot; on trouve souvent ce texte un peu court, et pour certains mots on aurait aimé un texte plus fourni. En fait, on aurait aimé une définition plus complète, et on est estime que le texte n'est qu'une définition partielle car il n'exprime pas avec suffisamment de clarté ce que le mot signifie, ce que la chose désignée par ce mot est exactement. Aussi, lorsqu'Aristote evoque le ``logos d'une chose'', ne faut-il pas se laisser duper par la traduction en ``définition de la chose'', comme s'il parlait d'une définition du type de celles qu'on retrouve dans un dictionnaire. Non, le ``logos d'une chose'' est sa définition complète, ce qu'il fait qu'elle est ce qu'elle est. Dit encore autrement, je dirais que la chose est la signification du nom qu'on lui attribue, tandis que la définition est le discours par lequel cette signification nous est révélée.

Ces précisions, qui peuvent paraître aller de soi, sont essentielles pour comprendre les notions de synonymes, d'homonymes et de paronymes chez Aristote, car ces notions ont une portée plus générale que celle que nous leur attribuons habituellement. Commençons par la notion d'homonymie. Nous avons tous appris que deux choses sont homonymes lorsque ces choses portent des noms semblables (e.g. même prononciation, ou orthographes semblables) alors qu'elles sont différentes. Ainsi le terme ``mine'' renvoie tantôt à la mine comme réseau de grottes creusées dans la terre, tantôt à la mine de crayon. Aristote énonce ainsi que deux choses sont homonymes lorsqu'elles portent le même nom mais ont des définitions différentes. Jusqu'ici, cette façon de voir nous est encore familière.

La notion de synonyme chez Aristote est bien différente de la nôtre. Nous appelons habituellement synonymes deux choses qui ont la même définition malgré des appellations différentes, comme ``automobile'' ou ``voiture''. Chez Aristote, ce n'est pas du tout ça. Pour lui, deux choses sont dites synonymes lorsqu'elles portent le même nom et qu'elles ont la même définition. Pour comprendre cette subtilité, prenons l'exemple des termes ``bleu'' et ``jaune'': ces deux termes tombent sous l'appellation ``couleur''; de plus ce qui fait que le ``bleu'' est une ``couleur'' est identique à ce qui fait que le ``jaune'' est une ``couleur''. Ainsi, le terme ``couleur'' s'applique synonymiquement (sic) aux termes ``bleu'' et ``jaune''. Revenons un instant sur la notion d'homonyme en prenant comme exemple un homme qui s'appelerait Jean-Mi, et une photographie de ce même homme. Le terme ``Jean-Mi'' s'applique aussi bien à l'homme concret qu'à l'homme représenté sur la photo, mais ce qui fait que cet homme-ci est ``Jean-Mi'' n'est pas identique à ce qui fait que l'homme représenté sur la photo est ``Jean-Mi''. Ainsi, le terme ``Jean-Mi'' s'applique homonymiquement (sic) aux choses ``cet homme là'' et ``l'homme sur la photo''.

Comme il est plus facile de retenir un schéma qu'un long texte, voici une reprise pseudo-formelle de ce que nous venons de dire. Soient A, B et C trois choses tels que nom(B) = nom(C) = nom(A). Désignons par def(B/A) et def(C/A) les définitions de B et C expliquant leurs rapports avec A respectivement. On dira que A s'applique à B et C de manière homonyme si def(B/A) est différent de def(C/A). Et on dira que A s'applique à B et C de manière synonyme si def(B/A) est identique à def(C/A).

La dernière notion de paronymie est moins difficile que les précédentes, et il ne me semble pas qu'elle soit utilisée plus tard dans l'ouvrage (à vérifier cependant). Deux choses sont dites paronymes lorsque leurs dénominations diffèrent par la terminaison et seulement par elle. Par exemple, grammaire et grammairien, courageux et courage. Simplicius remarquait que, d'une certaine façon, les paronymes partagent la même définition, le même nom (plutôt la même racine du nom) et ne diffèrent que par la terminaison, c'est-à-dire, que par une fonction grammaticale. Les paronymes sont donc un intermédiaire entre homonymes et synonymes.

Pour ce qui est du chapitre sur les synonymes, les homonymes et les paronymes, voilà qui est fait.

Scons Dut

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