lundi 17 juin 2013

Aristote - Les Catégories (3)


Structure de l'ouvrage
  1. Homonymes, synonymes, paronymes
  2. Des différentes expressions
  3. Prédicats, genres et espèces
  4. Catégories
  5. Substance
  6. Quantité
  7. Relation
  8. Qualité
  9. Les autres catégories
  10. Opposés
  11. Contraires
  12. Priorité ou antériorité
  13. Simultanéité
  14. Mouvement
  15. Possession
Ce billet résume et commente le chapitre 3. Une version bilingue grec-français du texte original est disponible ici.

3. Prédicats, genres et espèces

Ce chapitre très court comporte deux paragraphes; le premier porte sur la transitivité des affirmations, tandis que le second évoque (sans les définir) les notions de différence (diaphorè, διαφορή) et de genre (genos, γένος).

Je commence par le premier paragraphe (drôle d'idée :) ...). Si l'on admet que l'homme est un animal, et que ce Jean-Pierre est un homme, alors ce Jean-Pierre est aussi un animal. En reprenant les notions du chapitre précédent, si A est affirmé de B kath'hupokeimenou, et si B est affirmé de C kath'hupokeimenou, alors A peut être affirmé de C kath'hupokeimenou. Répétons le autrement, si B est un cas particulier de A, et si C est un cas particulier de B, alors C est un cas particulier de A. Ce sont là des choses qui vont de soi pour ceux qui sont habitués à l'inférence "B => A et C => B donnent C => A", et il n'y a pas plus de mystère pour ce paragraphe. Ceci confirme d'une certaine manière ce que je disais à propos du mode kath'hupokeimenou à la fin du billet précédent, que l'accusation kath'hupokeimenou consiste à ranger une chose (le hupokeimenon) dans une classe plus large.

Cette observation permet de mieux comprendre le second paragraphe. Aristote précise dans le chapitre sur la Substance les notions d'espèce (eidos, εἶδος) et de genre (génos, γένος). En première approximation, on peut dire qu'il s'agit d'une hiérarchie à trois niveaux. Au niveau fondamental se trouvent les choses, les substances premières (protè ousié, πρωτὴ ουσία) comme par exemple cette table, ce Jean-Pierre, etc ... les choses prises dans tout ce qu'elles ont de singulier, de particulier. On peut ensuite classer ces choses en différentes espèces (eidè); c'est ce qu'on fait lorsqu'on accuse deux tables particulières d'être deux instances de table. Les espèces peuvent elles-mêmes être rassemblées en différents genres (genè); ainsi la table et la chaise font partie de la classe meuble. Le mode d'accusation kath'hupokeimenou est précisément le mode qui permet de passer d'un niveau au niveau supérieur.

Ce nombre limité de niveaux d'organisation ne doit pas, me semble-t-il, laisser croire qu'Aristote s'empêche de penser à des niveaux supérieurs. Si une espèce A peut se diviser en sous-espèces B et C, alors l'espèce A peut être considérée comme le genre de B et C, et réciproquement, B et C peuvent être considérées comme des espèces du genre A. De même, si un genre B et un genre C peuvent être rassemblés sous un genre supérieur C, alors B et C sont comme des espèces du genre C. Pour résumer, on peut dire que les niveaux espèce et genre sont des niveaux mobiles, et que l'un ne va pas sans l'autre: un genre est toujours une classe d'espèces, et des espèces auxquelles on peut appliquer un même nom (voir notion de synonyme du premier chapitre) forment un genre. Il faut cependant noter que tous ces niveaux d'organisation se fondent sur le niveau fondamental des substances premières; on y reviendra au chapitre sur la Substance.

La division d'un genre en espèces s'effectue selon un ensemble de critères qu'Aristote appelle différences (diaphorai, διαφοραί). Une différence dans un genre est un critère qui permet de distinguer les espèces de ce genre. Il peut y avoir en français une certaine confusion car on a (en tout cas j'ai) tendance à comprendre le terme de différence comme "différence entre deux choses". Ici, il s'agit surtout d'un critère commun (donc au niveau du genre) qui permet de différencier deux espèces. Par exemple, dans le genre animal, la différence "bipède" est un critère qui permet de distinguer les espèces d'animaux bipèdes des espèces d'animaux non-bipèdes. Ainsi une espèce dans un genre est reconnaissable par l'ensemble des différences qu'elle satisfait ou ne satisfait pas.

Dans le second paragraphe de ce chapitre (enfin!), Aristote dit simplement la chose suivante. Si deux genres A et B ne sont pas subordonnés l'un à l'autre, c'est-à-dire, si A n'est pas un genre supérieur contenant le genre B et B n'est pas non plus un genre supérieur contenant A, c'est-à-dire encore, si aucun des deux ne peut être affirmé de l'autre kath'hupokeimenou, alors il n'y a aucune raison que les différences dans A correspondent aux différences dans B. Par exemple, le genre animal comporte les différences bipède, terrestre, volatile, aquatique et aucune de ces différences n'est pertinente pour le genre science; on ne distingue pas une espèce de science d'une autre parce que celle-ci a ou n'a pas deux pieds (Aristote ne manque pas d'humour :) ). Par contre, si par exemple A est un genre supérieur à B, c'est-à-dire si B est un cas particulier de A, c'est-à-dire encore, si A peut être affirmé de B kath'hupokeimenou, alors il est possible (quoique non nécessaire) qu'une différence dans A soit également pertinente comme différence dans B.  Par exemple (l'exemple est de moi), si A est le genre animal, et si B est le sous-genre rassemblant les espèces bipèdes et les espèces aquatiques, alors la différence "bipède" est bien une différence dans B qui permet de distinguer les espèces bipèdes des espèces aquatiques dans B.

En ce qui concerne la transitivité du mode kath'hupokeimenou, les espèces, les genres et des différences, voilà qui est dit.

Scons Dut

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