mercredi 31 juillet 2013

Encore un Gros Roi

Dans ce billet, je veux détruire ceci
Je défoncerai tout, des virgules à la substantifique bêtise. Pour qu'il n'en reste plus rien ^^

Pourquoi ? Parce qu'il croit être Régicide, alors qu'il est Roi bien gras. Pour une égratignure dans le lard, notre Seigneur convoque le Supplice XD. Abruti.

M'en vais les lui péter, les chicots du gros stron,
Z'allez ben vé ma mie !
A cri bouillant la gigue, lui scier carré l'jonc
Z'allez ben gais les couies !
(Deilé, Stronz)

Allez comme dit le poête, z'allez-en !

1. Résumé

Nothing more than the Emptyness of the Void

2. Résumé Véritable

"Je peux dire une connerie ?"

3. Résumé Authentique

- Seigneur, Seigneur ! Le sommeil venait à peine de s'étendre sur mes paupières lorsque vos valets frappèrent à ma porte. Affolés, d'horribles oiseaux noirs s'échappaient de l'enclos de leurs dents et me laissaient présager le pire quant à votre situation ! Seigneur, Seigneur, quelle ombre, quel monstre infernal trouble ainsi votre royal repos ? Répondez, je vous prie, et pardonnez les injonctions d'une femme que l'inquiétude emporte. Touchez, ces larmes sur ma poitrine TT
- Ô Madame, une horreur sans nom m'accable ! Mirez donc combien de larmes royales sont répandues sur le sol, plus froides que le marbre, inertes. Et chacune de murmurer "Vous aussi, Père, dans peu de temps, vous serez étendus auprès de nous et ce ne sera pas l'azur qui couvrira votre poitrine mais le pourpre assassin !"
- Silence, je vous en supplie ! Mon coeur déjà s'emporte.
- Soyez heureuse de le sentir encore.
- Dieux immortels, sauvez cet Homme, premier d'entre tous ! Lui qui vous honore par son être. Ne privez point les faibles créatures que nous sommes de sa présence lumineuse sur cette Terre !
- Ô ma condition m'impose de ne point invoquer les dieux pour mon salut, ce n'est pas une conduite convenable au Noble parmi les Nobles. Aussi, vous demandé-je de les prier pour moi !
- Mais que peut causer pareille chute de l'Univers ?
- Est-il seulement possible d'en parler ... Vous connaissez sans doute mes efforts pour la paix du peuple ?
- Comment l'ignorer quand tout le monde salue ces gestes; les oiseaux, les lions, et même les taupes des forêts vous louent pour cela. Le bon peuple, par amour pour vous, jouit en silence.
- Ô aimable peuple :)
- Chaque habitant du royaume vous doit tout, ô Père de tous. Quoi d'autre que votre mansuétude et votre sagesse ont pu animer votre Esprit, lorsque, ayant défini les rôles que chacun devait tenir, vous les accompagniez depuis la plus tendre enfance jusqu'à la mort; Comme une gigantesque paume aimante se referme sur une frêle colombe. Quelque fois, l'animal blessé ne pouvant plus s'envoler, vous alliez jusqu'à la libérer de cette vie qui l'accable. Quel spectacle charmant de voir troquer ces pauvres ailes brisées contre le fil salvateur de votre lame !
- La Justice qui mesure tout sait le nombre de celles et ceux qu'ainsi je sauvai.
- Votre superbe était telle que devant les plus misérables d'entre eux vous exposiez votre or le plus éclatant, en leur accordant, suprême largesse, de toucher une fois des yeux ce qu'ils avaient creusé de leurs mains ! 
- L'or dans leurs yeux devenaient rouge; c'était là sans doute l'expression la plus pure de leur amour pour moi.
- Et ces femmes du peuple à qui vous accordiez un divin séjour dans votre alcôve; succombant devant vos charmes, vos mots d'esprits, elles restaient bouches bées, livides. Je me rappelle encore d'un de vos traits les plus doux "De semence royale, vos bouches sont pleines. Riez donc !". Les pauvrettes sourirent, mais ne rièrent pas. Que leur timidité est aimable !
- Oh, le Roi les pardonne. L'oubli les a déjà effacées de sa mémoire.
- Mais alors Seigneur, qui, ou plutôt quoi peut vouloir attenter à cette vie si généreuse qu'est la vôtre ? Faut-il être une pierre pour n'être pas ému devant tant de somptuosités ?!!
- Hélas ! Les ténèbres envahissent la Terre par le coeur des hommes. Ce peuple que j'ai tant aimé a perdu la raison.
- Je ne veux rien entendre !
- Un tonnerre a grondé à travers le royaume.
- Mon coeur chavire !
- On raconte qu'une lance d'airain a été érigé et qu'elle attend une tête.
- Coupez ce fil, Moires, c'est plus que je ne peux en supporter !
- La mienne !
- Aaaah ! je meurs ! Se peut-il que le monde fusse aveugle à ce point, lorsque de tant de lumière vous l'inondiez ?! Ne vous refusant aucune grâce, excellent Roi, vous tordiez le cou aux aigris; et à ceux qui ne pouvaient rire, vous leur déployiez la gorge. Vous qui fûtes l'esprit de toutes ces femmes idiotes. Vous qui fûtes l'espoir de tous ces gueux. De ces enculés, de ces salopes, de ces mal-baisées (sauf par vous Divin Seigneur) ! Ohh prenez moi toute !

(merci tanx)


Le Roi, face au miroir, terminait ce dialogue; seul. Dehors, la ville brûlait. Au loin, entre les torches et le Soleil, un fil d'airain, droit comme un Fuck, fût élevé.

On y planta le Roi, de la barbe au cul. Et le peuple rit. XD

Scons Dut

vendredi 26 juillet 2013

Théorie des Eléments chez Cadipso

Prolégomènes à la Combinatoire des Qualités Secondes

1. Présentation

Cadipso est décidément un poète bien étrange. Les Prolégomènes à la Combinatoire des Qualités Secondes (PCQS) forment un petit opuscule en marge de ce à quoi l'écrivain habitue ses lecteurs.  Quoique, le poême précédent montre assez clairement son goût prononcé pour les labyrintes ... Et peut-être s'agit-il de cela ? Voilà une chose qu'on ne pourra décider qu'au terme de cette enquête.

Les PCQS prennent la forme d'un court traité didactique qui entend exposer au public une méthode sûre et claire de combiner certaines images en vue de produire un effet poétique plus ou moins marqué. Et Cadipso ajoute aussitôt "dans les limites qu'impose la raison au saisissement des impressions envolées". Comme son nom l'indique, l'ouvrage semble se donner pour tâche de tracer l'esquisse d'une sorte de physique des qualités secondes. La qualité seconde est une notion qui s'oppose à celle de qualité première. Pour dire les choses assez sommairement, je dirais que la physique telle qu'on la pratique au lycée, à l'université et ailleurs se préoccupe la plupart du temps (ami·e·s physicien·ne·s ?) des qualités premières, c'est-à-dire des qualités qui ne sont pas perceptibles par nos cinq sens, et qui pourtant sont les principes desquels découlent toutes nos perceptions. Ainsi, la boule de cire offre sous mes doigts une pâte tendre et malléable que je peux pétrir autant qu'il me convient. Mais dès que je la soumets trop longuement à la flamme d'une chandelle, je la vois se nourrir de chaleur et se liquéfier. Je ne sais plus qui s'étonnait (citation approximative): "Serait-ce donc Protée pour changer ainsi de forme au point de paraître méconnaissable ? et serait-ce encore Protée quand Protée change sans cesse ?". La physique répondra que les qualités premières de la boule de cire ne sont ni dans sa solidité molle, ni dans sa fluidité, mais dans le nombre et le mouvement des particules qui la composent. Cette solidité s'explique par une compression plus importante et un mouvement moindre de ces atomes, tandis que la fluidité accrue de la cire exposée à la chaleur est induite par l'agitation plus grande que suscite ce gain d'énergie. Et c'est une belle chose que de formuler les choses ainsi, lorsqu'il s'agit de chercher dans la nature des lois pour soumettre les non-humains.

Cette physique explique ainsi les qualités secondes en fonction des qualités premières. Mais il n'est pas certain que cette explication épuise les enchaînements subtils que renferment ces qualités secondes. Le nombre et le mouvement des particules expliquent-ils le regard amusé et le plaisir de pétrir une pâte rouge qu'on sent petit à petit fondre sous ces doigts ? Ce que Cadipso nous dit, et d'autres l'ont dit avant lui, c'est qu'il faut une physique des illusions, une mécanique des impressions. Cadipso avoue toutefois combien une telle tâche est difficile, et c'est pourquoi il se propose de ne former que le premier degré de cette science à venir, si tant est qu'elle soit possible. Mentionnons tout de suite, au passage, que Cadipso n'est pas effrayé par le caractère un tant soit peu mécanique, cérébral et réducteur du projet qu'il soutient, car comme il le dit "la règle montre la rectitude, et c'est notre bon plaisir que de la placer comme ci, et puis comme ça". Le premier degré de cette science commence par une classification volontairement naïve et ad hoc des impressions, et Cadipso cherche à tracer les "directions dans lesquelles semblent se déployer l'art subtil des combinaisons d'images". Puisqu'un trait, aussi petit soit-il, suffit à indiquer une droite, Cadipso entend présenter une combinatoire de cette géométrie prise en son germe, c'est-à-dire, au plus près du point de bifurcation.

2. Premier principe

Le principe fondamental de la méthode peut se résumer par la formule suivante

(1) Recherchez les couples de qualités secondes 
qui peuvent consituer les extrémités d'un segment rectiligne.

Donnons tout de suite quelques exemples de tels couples: chaud/froid, visqueux/fluide, transparent/opaque, crystallin/amorphe, incurvé/rectiligne, lisse/rugueux, gras/sec, humide/sec, salé/sucré, tonique/flasque, tendre/ferme, plastique/métallique, etc ...

Il est assez amusant de remarquer que chacun de ces couples suggèrent non seulement une direction, mais également une orientation. En effet, on peut distinguer pour chacun d'eux un terme plus "énergétique" que l'autre, faisant ainsi apparaître comme une différence de potentiel. Ainsi, dans la relation chaud/froid, il est assez clair que le potentiel le plus élevé est du côté du chaud. En adjoignant + et - aux termes respectivement plus et moins énergétiques d'un même couple, on obtient pour les couples cités les structures suivantes: chaud(+)/froid(-), visqueux(-)/fluide(+), transparent(+)/opaque(-), crystallin(+)/amorphe(-), incurvé(-)/rectiligne(+), lisse(+)/rugueux(-), gras(-)/sec(+), humide(-)/sec(+), salé(+)/sucré(-), tonique(+)/flasque(-), tendre(-)/ferme(+), plastique(-)/métallique(+), etc ...

Bien sûr, ces attributions sont relativement arbitraires dans la mesure où chacun est en droit d'estimer l'orientation d'un couple autrement. Il est cependant remarquable que chacun puisse en principe associer une orientation. Cadipso parle de "pôle négatif", pour le terme de faible potentiel, et de "pôle positif", pour le terme de fort potentiel.

3. Exemple

A partir de tels couples, il est déjà possible d'écrire des poêmes que Cadipso qualifie de "statiques". Je ne suis pas très sûre pour l'instant de ce qu'il entend précisément par là, mais la suite éclaire quelque peu cette idée. Un poême statique peut être vu, de manière abstraite, comme un champ de forces induit   par la présence ou l'absence de certains pôles, ou plutôt par les différences de potentiels (qualitatives!) entre ces pôles. Je donne tout de suite un exemple (de mon propre cru) avec les couples chaud/froid et sec/gras.
Une langue de flamme huileuse
Pénétra sous la glace sableuse
Extirpa des cadavres fumants
Les tendons et les chairs adipeuses
Délaissant les os bleus des amants
Les coeurs secs comme pierres d'Ibraman.

Evidemment, l'exercice est quelque peu forcé et il est à peu près certain que je ne remporterai aucune palme pour ces vagues ennéasyllabes en anapeste (remarquez Ibraman, nom inventé pour l'occasion ^^). J'ai associé chaud (+) et gras (-) d'un côté (flamme huileuse, cadavres fumants, chairs adipeuses), sec (+) et froid (-) de l'autre (glace sableuse, os bleus, coeurs secs comme pierres). Par ailleurs, si on prête attention à l'ordre (tout à fait fortuit ^^) dans lequel apparaissent les différents pôles, on voit apparaître de manière explicite le réseau des qualités secondes qui sous-tendent la strope.

chaud (+) et gras (-)
froid (-) et sec (+)
chaud (+)
gras (-)
froid (-)
sec (+)

Notez déjà que l'orientation naturel des pôles positifs vers les pôles négatifs impriment à la strophe un mouvement particulier. 

4. Second principe

Pour être tout à fait précis, les axes chaud/froid et sec/gras ne sont pas tout à fait sur le même plan. Il semble bien que l'axe chaud/froid domine l'axe sec/gras par les règles qualitatives "chaud implique gras" et "froid implique sec". En notant (M) (resp. (m)) l'axe majeur (resp. mineur), on obtient la structure plus fine suivante
chaud (M+) et gras (m-)
froid (M-) et sec (m+)
chaud (M+)
gras (m-)
froid (M-)
sec (m+)

On voit apparaître ainsi un jeu de symmétries qui forment comme une structure rythmique. Bien que nous n'en sommes qu'à la partie statique, une dynamique est déjà perceptible en filigrane. En réalité, ce que nous avons mis en évidence par la distinction entre l'axe majeur et mineur, c'est la possibilité de former des couples dont les termes sont eux-mêmes des couples, et Cadipso parle alors de couple d'ordre supérieur. Ainsi le couple R1 = (chaud/froid)/(sec/gras) est un couple d'ordre 1 dont les termes sont les couples  A0 =(chaud/froid) et B0 = (sec/gras). Les couples d'ordre 0 sont simplement les couples de qualités secondes dont nous avons déjà donnés quelques exemples ci-dessus. Un couple d'ordre n est un couple dont les termes sont des couples d'ordre n-1. Tout comme les termes d'un couple d'ordre 0, les termes d'un couple d'ordre supérieur peuvent également recevoir une polarité. C'est ce que j'ai présenté implicitement lorsque j'ai distingué l'axe majeur (A0) et l'axe mineur (B0) dans le couple R1. 

Il me semble que ce que Cadipso désigne par dynamique correspond à une sorte de statique d'ordre supérieur. Le poète soutient que le mouvement naturel provient (presque) toujours d'une polarisation des termes d'un couple d'un certain ordre. Les polarisations des couples d'ordre faible sont comme des micro-mouvement, tandis que celles des couples d'ordre élevée sont comme des macro-mouvements.  Ceci conduit à la formulation de son deuxième principe fondamental

(2) Chercher à garantir la compatibilité des différents ordres du mouvement.

Malheureusement, Cadipso reste assez évasif sur ce deuxième point. L'interprétation la plus naïve, en tout cas la seule que j'ai pu trouver, consiste à assurer à chaque niveau de détails (intra-vers, inter vers, inter strophes, etc ...) une cohérence du mouvement, c'est-à-dire un mouvement du positif vers le négatif ou du négatif vers le positif. 

5. Conclusion

Je crois important de rappeler que Cadipso ne tient pas ces règles pour des lois absolues. Il admet très volontiers qu'il ne serait pas choqué par la présence d'un mouvement brisé, comme une fausse note, dans le poême. Mais il faut que cette "fausse note" prenne un sens et participe à l'organicité de l'oeuvre, sans quoi cette note pourra véritablement être jugée fausse. Disons qu'avant de briser les règles, il est plus profitable de s'en accommoder en premier lieu.

Ces ordres imbriqués, les micro-mouvements, les macro-mouvements, etc ... tout cela révèle un sens aigu de l'ambigüité chez Cadipso, voire même un certain fétichisme de l'alambiqué. Je trouve que cette théorie des éléments, réserve faite de tout ce qu'elle peut comporter de réductionnisme forcené, montre clairement l'importance du labyrinthe dans l'oeuvre du poète. C'est une chose que j'avais déjà souligné à propos du poême Aux heures inconstantes, les ombres passent (Ahilop). Ce dernier fut composé avant la publication des PCQS, mais il serait intéressant d'essayer d'analyser l'Ahilop selon cette grille. J'y consacrerai probablement un futur billet.

Ma seule réserve quant aux PCQS concerne le privilège accordé aux qualités secondes comme matériau fondamental (les couples d'ordre zéro). On ne voit pas en effet comment la structure métrique ou l'organisation des rimes, par exemple, s'insère dans le schéma de Cadipso. Peut-être faut-il lui accorder que son propos ne visait que la manipulation des images, sans viser la langue dans laquelle elles sont projetées, si tant est qu'il soit possible de facilement séparer la métaphore de son expression. Ce structuralisme forcené qui anime Cadipso est probablement la tentative, la plus touchante qu'il m'ait été donné de voir, et probablement la plus vaine, de faire de la poésie directement dans le coeur des gens ...

Quoiqu'il en soit, j'invite chaleureusement mes lectrices et mes lecteurs à se prêter au jeu, et je serai plus que ravie de lire quelques uns de vos essais en commentaires. Just for fun :D

Scons Dut

mercredi 24 juillet 2013

Aristote - Les Catégories (4)


Structure de l'ouvrage
  1. Homonymes, synonymes, paronymes
  2. Des différentes expressions
  3. Prédicats, genres et espèces
  4. Catégories
  5. Substance
  6. Quantité
  7. Relation
  8. Qualité
  9. Les autres catégories
  10. Opposés
  11. Contraires
  12. Priorité ou antériorité
  13. Simultanéité
  14. Mouvement
  15. Possession
Ce billet résume et commente le chapitre 4. Une version bilingue grec-français du texte original est disponible ici.

4. Catégories

Comme on l'expliquait au chapitre 2, les mots peuvent être liés entre eux (kata sumplokèn, κατὰ συμπλοκήν) ou être pris isolément (kata mèdemian sumplokèn, κατὰ μηδεμίαν συμπλοκήν). Tandis que les combinaisons sont étudiés dans les chapitres 10 à 14 (et plus spécifiquement dans De l'Interprétation, Peri Hermeneias), le coeur de l'ouvrage concerne la classification des termes lorsqu'ils sont pris isolément. Ce quatrième chapitre énumère les (fameuses) dix catégories d'Aristote et présente quelques exemples pour chacune d'elles:

  1. la Substance (ousia, οὐσία), e.g., ce Jean-Pierre, ce cheval, l'homme. Nous avons déjà évoqué cette catégorie dans les derniers paragraphes de ce billet.
  2. la Quantité (poson, ποσόν), e.g., de trois mètres, de cinq litres.
  3. la Qualité (poion, ποιόν), e.g., blanc, grammairien.
  4. la Relation (pros ti, πρός τι), e.g., le double, la moitié.
  5. le Lieu (pou, πού), e.g., dans le lycée, dans l'agora.
  6. le Temps (pote, ποτέ), e.g., hier, l'an passé, demain.
  7. la Position (keisthai, κεῖσθαι, litt. être disposé), e.g., être assis, être couché.
  8. l'Etat (echein, ἔχειν), e.g., être chaussé, être armé.
  9. l'Action (poiein, ποιεῖν), e.g., couper, brûler.
  10. la Passion (paschein, πάσχειν), e.g., être coupé, être brûlé.
Je dois avouer mon étonnement de voir énumérées ainsi les dix catégories sans qu'aucune justification ne soit fournie. Aristote se contente d'énoncer que chaque terme sans liaison tombe sous l'un de ces dix chefs d'accusation (souvenez-vous que catègorein, κατηγόρειν, signifie accuser). J'ai exposé ma surprise sur le plus beau des réseaux sociaux, et j'ai eu l'aimable occasion de découvrir Benvéniste, en particulier, son article Catégories de Pensée et Catégories de Langue (Problèmes de Linguistique Générale, merci @Mlle_Juls).

Pour dire les choses rapidement, la langue et la pensée, bien qu'étant de nature différentes, sont malgré tout solidaires, puisqu'une pensée exprimée est une pensée exprimée à travers la langue. Benvéniste examine cette relation entre pensée et langue à l'aune de la notion de catégorie. Selon lui, les catégories forment un élément médian entre ces deux termes selon qu'elles sont entendues comme catégories de la pensée ou comme catégories de la langue. Les catégories de la pensée sont plus souples, dans la mesure où la pensée, selon Benvéniste, est toujours libre de les remanier ou d'en créer de nouvelles. Les catégories linguistiques, au contraire, sont plus rigides car elles sont tributaires du système de la langue que chacun reçoit. Cette distinction étant établie, Benvéniste affirme que les dix catégories d'Aristote sont des catégories de la langue grecque (vlan! ^^ mais Aristote a-t-il proclamé le contraire ?? ...).

Benvéniste met alors en correspondance les catégories d'Aristote avec les catégories linguistiques grecques.

  1. la Substance (ousia, οὐσία) correspond à la catégorie linguistique des subtantifs, la catégorie qui répond à la question ``quoi ?''.
  2. la Quantité et la Qualité (poson, ποσόν et poion, ποιόν) correspondent aux adjectifs dérivés de pronoms, du type quantus et qualis en latin.
  3. la Relation (pros ti, πρός τι) correspond aux adjectifs comparatifs
  4. le Lieu (pou, πού) et le Temps (pote, ποτέ) correspondent aux adverbes de lieu et de temps.
  5. la Position (keisthai, κεῖσθαι) correspond à la voix moyenne. Il s'agit d'une voix intermédiaire entre la voix passive et la voix active qui n'existe pas en français. Elle s'emploie comme la voix active mais indique que le sujet est affecté par l'action qu'il effectue.
  6. l'Etat (exein, ἔχειν) correspond à l'aspect perfectif. Une action décrite à l'aspect perfectif est une action accomplie, terminée, contrairement à l'aspect imperfectif qui décrit une action en cours de réalisation, non achevée.
  7. l'Action (poiein, ποιεῖν) correspond à la voix active.
  8. la Passion (pasxein, πάσχειν) correspond à la voix passive.
Ainsi les catégories aristotéliciennes sont les cadres offerts à la pensée par la langue grecque. Benvéniste insiste sur le fait que les emplois du verbe être en grec sont nombreux et variés. Il permet, entre autres, de former des identités, sortes d'équations conceptuelles (le verbe être comme copule), de former des substantifs (participe présent), des combinaisons avec des prépositions, etc ...  Et cette richesse est très probablement ce qui justifie la centralité de la notion d'être chez les philosophes grecs (jusque chez nous, leurs successeurs). Cette nuance à propos de l'être étant faite, il est toujours possible d'affirmer que ``les catégories aristotéliciennes sont les modes les plus généraux d'accusation de l'être'', à condition d'ajouter ``dans la langue grecque''. 

Notons pour terminer cette brève incartade linguistique qu'il ne s'agit pas de nier aux catégories aristotéliciennes tout intérêt philosophique sous prétexte qu'elles seraient relatives à la langue grecque et par conséquent incapables d'universalité. Car en faisant cela, nous risquons de nous engager dans la poursuite des ``catégories véritables de la pensée'', sortes de tables éternelles et universelles. Il semble que c'est là un leurre, car une telle poursuite nous ramènerait fatalement vers les catégories de notre langue, avec en prime l'ignorance de leur origine. Je dirais qu'il s'agit de reconnaître l'origine des catégories aristotéliciennes, certes, mais surtout de les emprunter, les manipuler et les employer afin d'élucider les problèmes que nous nous posons. En somme, ce n'est pas parce que nous ne parlons plus le grec ancien couramment que nous sommes incapables de manipuler ces catégories, d'autant plus que la langue française n'est pas complètement éloigné de la langue grecque, ou que ce que nous pourrions produire avec elles est totalement incapable d'universalité. 

Il va de soi que les paragraphes précédents ne suffiront pas à éclaircir le problème de la relation entre langue et pensée. Quoiqu'il en soit, en ce qui concerne l'énumération des catégories d'Aristote, et de leur probable origine, voilà qui est dit.
Scons Dut

mardi 2 juillet 2013

La pointe.

Assis à la pointe du cortège, le vacarme de trois millions d'âmes vives et des tonneaux de chaux derrière lui, le héros se dresse, lève son corps, son doigt, son oeil et harangue devant l'ennemi "Voyez ! Pauvre diable ! JE NE MOURRIRAIS PAS SEUL !!!!" ...


Ennemi stupéfait, foule silencieuse, tout le monde se retire.


Il est des moments où il n'est pas bon de n'avoir pas parlé français bien.

***

De qui se moque-t-on ? Du pauvre héros qui croyait pouvoir conduire un peuple au salut. Mais cette faute de conjugaison, ce défaut de culture, réunit et le peuple, et l'ennemi en un bloc commun: ``Monsieur le Héros, nous vous condamnons car vous n'êtes ni des nôtres, ni des leurs, vous n'êtes rien. Que venez-vous faire au théâtre de l'Histoire ? Descendez de la scène, spectateur, et contentez-vous de regarder. Nous, nous faisons des choses sérieuses !''

C'est triste, n'est-ce pas ?
S. D.