mardi 8 octobre 2013

Aristote - Les Catégories (5) [b]

Structure de l'ouvrage
  1. Homonymes, synonymes, paronymes
  2. Des différentes expressions
  3. Prédicats, genres et espèces
  4. Catégories
  5. Substance
  6. Quantité
  7. Relation
  8. Qualité
  9. Les autres catégories
  10. Opposés
  11. Contraires
  12. Priorité ou antériorité
  13. Simultanéité
  14. Mouvement
  15. Possession
Ce billet résume et commente le chapitre 5. Une version bilingue grec-français du texte original est disponible ici.

5. Substance

    (b) L'accusation en hupokeimenôi

Aristote dit que lorsqu'une chose A est affirmée d'une chose B selon le mode en hupokeimenôi, c'est-à-dire lorsque l'existence de A est toute entière dans l'existence de B sans que A soit une partie de B, et bien, il y a, peut-être, homonymie mais jamais synonymie. Par exemple, la blancheur est dans un corps selon le mode en hupokeimenôi. Ce corps peut alors recevoir le (être accusé du) nom de blanc, mais la définition de la blancheur ne lui est pas attribué; puisqu'il n'y a pas de corps qui serait la blancheur.

Aristote déduit de cet argument que l'impossibilité de l'accusation en hupokeimenôi est une propriété commune à toutes les substances. En effet, par définition, une substance première n'est affirmé ni kath'hupokeimenou ni en hupokeimenôi de quoi que ce soit. Dans le cas d'une substance seconde A, vue comme collection ``synonymique'' de substances premières, A est affirmée kath'hupokeimenou de chacune des substances premières qu'elle rassemble, mais n'est affirmée en hupokeimenôi d'aucune d'elles puisqu'il ne peut y avoir synonymie avec l'accusation en hupokeimenôi. Aristote cite l'exemple suivant: Homme est affirmé kath'hupokeimenou de chaque homme particulier, mais Homme n'est jamais dans tel ou tel homme particulier; il n'y a pas d'homme particulier qui soit l'Homme en général.

Etrangement, Aristote se contente de dire qu'une substance seconde ne peut pas être affirmée en hupokeimenôi d'aucune chose qu'elle accuse déjà selon le mode kath'hupokeimenou. Ainsi, dans son exemple, il se contente de montrer que l'Homme en général ne peut pas être affirmé de tel homme particulier selon le mode en hupokeimenôi. Mais il me semble - je me trompe certainement - qu'on peut aller plus loin: Une substance n'est jamais affirmée en hupokeimenôi de quoi que ce soit. Voyons si cela tient la route.

La chose est claire pour les substances premières qui, par définition, ne peuvent être affirmées ni kath'hupokeimenou ni en hupokeimenôi de quelque chose. Les substances secondes, étant construites à partir des substances premières selon le mode kath'hupokeimenou, ne peuvent pas non plus être affirmées en hupokeimenôi de quelque chose, car les substances premières qui leur correspondent seraient également affirmées en hupokeimenôi de cette chose. Répétons le autrement: une substance seconde A est une collection synonymique de substances premières; si la substance A était affirmée en hupokeimenôi d'un sujet B, alors toute substance première de la classe A, en tant que cas particulier de A, serait affirmée en hupokeimenôi de B. Par exemple, l'Homme en général ne saurait être dans tel ou tel corps, car il faudrait, sinon, que tout homme particulier soit dans ce corps.

Il n'est pas certain que ce raisonnement eût pu être suivi par Aristote, mais il me paraît assez cohérent avec ce que j'ai pu comprendre des premières pages de son ouvrage. Quoiqu'il en soit, que ma lectrice et mon lecteur retienne ma précaution, et veuille bien m'indiquer l'erreur que j'aurais pu commettre.

Aristote remarque également qu'une substance peut très bien être dans un sujet comme une partie dans un tout, mais que ce n'est pas une raison pour ne pas l'appeler substance. Car Aristote a pris soin de préciser que le mode en hupokeimenôi qu'il considérait ne concerne pas les choses qui sont des parties d'une autre chose. Par exemple, bien que la Main soit une partie du Corps humain, elle constitue bien une substance (seconde ici).

Aristote vient donc de montrer un aspect (l'impossibilité de l'accusation en hupokeimenôi) partagé par toutes les substances. Mais Aristote ajoute que cet aspect n'est pas propre (idios, ἴδιος) aux substances, dans le sens où une différence (diaphora, διαφορά) non plus ne peut être affirmée en hupokeimenôi d'aucune chose. Je rappelle qu'une différence est un critère qui dans un genre (genos, γένος) donné permet de distinguer les espèces (eidè, εἴδη) rassemblées sous ce genre. Par exemple, dans le genre Animal, la différence Terrestre permet de distinguer les animaux terrestres des animaux non-terrestres.

Donc, selon Aristote, la différence ne peut être affirmée en hupokeimenôi d'un sujet. Avec l'exemple précédent, cela signifie que la différence Terrestre peut être affirmée de tel homme particulier (puisque l'homme est un animal terrestre), mais on ne peut pas dire que Terrestre est dans cet homme, puisqu'il n'y a pas d'homme particuliers qui soit le Terrestre. Cet exemple est à mettre en parallèle avec l'exemple de la Blancheur qui peut être dans un corps, sans qu'aucun corps ne soit la Blancheur.

Je dois avouer qu'à cette étape du raisonnement, une question embarassante s'est présentée devant moi: de quelle façon une différence est affirmée d'un sujet ? Nous venons de voir que pour Aristote cette affirmation ne peut pas être selon le mode en hupokeimenôi. Est-ce à dire que l'affirmation est selon le mode kath'hupokeimenou ? Si tel était le cas, cela voudrait dire, par exemple, que tel homme est un cas particulier de terrestre. Il me semble qu'il y a une légère nuance; tel homme est un cas particulier d'animal terrestre, mais pas un cas particulier de terrestre.

Une différence, selon la définition donnée précédemment, est toujours liée à un genre; et d'une certaine manière, elle est même co-constitutive du genre, puisque le genre est une collection synonymique d'espèces qui différent entre elles selon un ensemble déterminé de critères appelés différences (diaphorai, διαφοραί). En d'autres termes, se donner un genre est équivalent à se donner une collection synonymique d'espèces ainsi qu'un ensemble de différences. De cette remarque vient le fait que la différence est toujours affirmée d'une espèce ou d'une substance première (Aristote utilise le terme atomon, ἄτομον, individu). De plus, cette affirmation est synonymique: tous les hommes peuvent être appelés terrestre (identité du nom, onoma, ὄνομα), et ils sont tous terrestres selon la même définition (identité de la définition, logos, λόγος). En fait, la différence est  ``presque'' affirmée des espèces (ou les substances premières correspondantes) selon le mode kath'hupokeimenou. Mais quoiqu'il en soit, la différence et la substance (seconde) partage le fait que lorsqu'elles sont affirmées d'un sujet, elles le sont de manière synonymique.

Pour résumer, Aristote a montré que la substance et la différence ont en commun deux choses: l'impossibilité d'être affirmée en hupokeimenôi de quoi que ce soit, et le fait que leurs affirmations d'un sujet sont toujours synonymiques. Nous voyons donc que ces deux aspects ne suffisent pas à caractériser la substance, c'est-à-dire à déterminer ce qui est propre à la substance.

En ce qui concerne l'impossibilité pour la substance d'être affirmée selon le mode en hupokeimenôi de quoi que ce soit, voilà qui est dit.

Scons Dut

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