dimanche 19 octobre 2014

Lieux-dits d'un malentendu culturel - B. Rigo (1)

Bien que je croule sous d'innombrables brouillons d'articles en cours, et malgré plusieurs promesses faites par ici, j'inaugure, cette fois-ci plus calmement, une nouvelle série de billets consacrés à un sujet qui me touche plus personnellement. Aussi, vous ne m'en voudrez pas, je l'espère, de déposer au sol les petits artifices, et autres pirouettes, dont j'use et abuse en d'autres circonstances. Et je vous prie, d'emblée, d'excuser le ton un peu grave que pourraient prendre mon propos par la suite.

Je voudrais résumer, sur quelques billets, un ouvrage intitulé "Lieux-dits d'un malentendu culturel" de Bernard Rigo à propos de la Polynésie. De ce livre, vous n'avez sans doute jamais entendu parler, et de cet auteur non plus. La Polynésie, en effet, a ceci de paradoxal qu'elle reste prise dans une certaine confidentialité, malgré sa renommée qui n'a d'égale, peut-être, que la superficie de ses eaux.  Dans son ouvrage, il tâche de démêler parmi la foule variée des textes portant sur cette région les fils les plus tenaces, les images récurrentes, ou, plus précisément, le mode de répétition et de déploiement de certains thèmes qui ont nourri, jusqu'à aujourd'hui, l'image de la Polynésie. C'est-à-dire en somme, selon les termes de l'auteur, dresser un état des lieux communs sur la Polynésie.

Se faisant, on comprend dès lors qu'il y a deux tâches simultanées dans un tel projet. D'une part, il y a évidemment une nécessaire synthèse doxographique: faire l'inventaire méthodique de ce qui a été dit sur le sujet. D'autre part, puisqu'il s'agit d'étudier des discours portant sur les Polynésiens, il faudra également situer les locuteurs dans ces jeux de paroles.

B. Rigo a-t-il accompli ce projet ? C'est ce que j'espère pouvoir découvrir en présentant ici les grandes lignes de son argumentation. Je me contenterai, la plupart du temps, d'un simple résumé de son propos; quoique je me permettrai sans doute quelques commentaires si l'occasion se présente.

Pour commencer, je vous présente d'emblée un des textes citées par B. Rigo au début de son ouvrage. Il s'agit d'un extrait de la Relation du voyage fait autour du monde (années 1769, 1770 et 1771) de James Cook.
"Il n'est pas étrange que le chagrin de ces peuples sans art soit passager, et qu'ils expriment sur-le-champ et d'une manière forte les mouvements dont leur âme est agitée. Ils n'ont jamais appris à déguiser ou à cacher ce qu'ils sentent, et comme ils n'ont point de ces pensées habituelles qui sans cesse rappellent le passé et anticipent l'avenir, ils sont affectés par toutes les variations du moment, ils en prennent le caractère, et changent de dispositions toutes les fois que les circonstances changent; ils ne suivent point de projet d'un jour à l'autre, et ne connaissent pas ces sujets continuels d'inquiétude et d'anxiété dont la pensée est la première qui s'empare de l'esprit quand on s'éveille, et la dernière qui le quitte au moment où l'on s'endort. Cependant si, tout considéré, l'on admet qu'ils sont plus heureux que nous, il faut dire que l'enfant est plus heureux que l'homme, et que nous avons perdu du côté de la félicité, en perfectionnant notre nature, en augmentant nos connaissances et en étendant nos vues."
Selon B. Rigo, ce texte illustre quatre affirmations majeures qui parcourront dès lors tout le discours occidental.

  1. Le Polynésien vit dans le temps présent.
  2. Le Polynésien est un grand enfant.
  3. Le Polynésien est versatile.
  4. Le Polynésien est un être superficiel.
Ces quatre points sont bien sûr liés, et chacun fait l'objet d'un chapitre spécifique dans l'ouvrage. Je résumerai le premier d'entre eux dans le prochain billet. On peut cependant dès à présent noter que de chacunes de ces affirmations, certains pourront tirer tant une valorisation qu'une dévalorisation. Ainsi, le Polynésien vivant dans le temps présent,  jouit d'un bonheur immédiat que n'encombrent aucuns soucis portant sur l'avenir. Mais vivant dans le temps présent, il n'a aucune mémoire, et aucune ambition. Cet exemple montre que chacun des points évoqués ci-dessus est moins un jugement achevé que le point de bascule d'une ambigüité toujours branlante.

Enfin, et je terminerai ce billet introductif sur ce point, on remarquera que des discours charpentés de la même façon ont également été prononcés à l'égard d'autres "altérités": la femme, le noir, etc. Aussi peut-on y voir l'indice d'un possible tropisme, une déformation de l'image dont la cause est moins dans l'objet visé que dans l'oeil de celui qui vise.

Scons Dut

PS: Quant à savoir ma relation avec ces questions, ma situation personnelle, je laisse le soin à l'imagination de ma lectrice, de mon lecteur, de former les suppositions qui lui allègeront le coeur autant que possible. Un indice cependant. Chez une personne qui très tôt eût à répondre au souci de la mémoire, il bouillonne comme des bulles de pudeur à la surface desquelles miroitent les éclats d'une brume qui peut-être fut une, qui peut-être ne fut jamais.

jeudi 16 octobre 2014

Exercice de Gématrie

Aujourd'hui, j'écris pour reprendre un peu la main sur ce blog que j'ai, contre mon gré, délaissé un moment pour des raisons que je préfère taire ici (toujours mon souci pour votre sécurité, et celle de vos proches). Et donc, pour aborder cette rentrée le coeur léger, je me propose de réaliser un exercice fort sympathique de Gématrie. Pour ceux qui ne connaitraient pas cette discipline, je conseille la visite très instructive de cette antiquité. Mais citons plutôt !
La Gématrie est une science cabalistique qui consiste à utiliser la valeur numérale de chaque lettre d'un mot ou d'une phrase, afin d'établir avec clairvoyance et après de sages réflexions, le propre de l'homme lié avec le Divin.
En l'occurrence, je souhaite appliquer cet esprit à la Musique; région de l'activité humaine dont tout le monde sait les relations adultérines avec les plus hautes puissances de l'Univers. Plus précisément, je vous propose, ni plus ni moins, qu'une explication arithmético-numéro-minéralogique des qualités de consonnances et de dissonances des intervalles musicaux.

Encore une fois, ne pouvant supporter en mon nom propre, les choses qui vont être dites, je revêts momentanément la voix d'un nouvel invité sur ce plateau: Mr. Groebnesch. Personnage qu'on ne confondra pas avec un de ses aïeux qui, lui, fut beaucoup plus honnête.

Alors, Mr. Groebnesch, que vouliez-vous dire ? Je suis toute ouïe.

***

Vous parlez, vous parlez, très chère ! Moi, j'irai droit au but. La musique (entendre musique classique occidentale) fonde une large partie de sa théorie sur la notion de consonnance et de dissonance. L'unisson est la consonnance parfaite. L'octave, un intervalle qualitativement si proche de l'unisson qu'on a cru bon noter ses extrémités par le même nom. Puis il y a la quinte et la quarte. Et enfin, la tierce et la sixte, la seconde et la septième; ces derniers pouvant se présenter sous la forme majeure ou mineure. À celui dont l'oreille barbotte dans nos contrées, cette série d'intervalles semble former une descente graduée, du clair séjour de la consonnance pure, au tartare de la dissonance (une petite pensée pour notre collègue musicien, Orphée).

Mais d'où vient cette gradation ? Je vais vous le dire ! Et même, vous le prouvez ! Il suffira d'admettre deux points que la Science a clairement démontré:
  • (1) Lorsqu'un son, de fréquence fondamentale $f_0$ est maintenue, il est suivi d'une escorte ordonnée d'harmoniques, c'est-à-dire, de sons dont les fréquences sont des multiples entiers de la fréquence fondamentale: $f_0, 2 f_0, 3  f_0, \dots$
  • (2) Notre perception auditive est différentielle. L'oreille ne perçoit pas absolument une fréquence $f_0$, mais toujours un certain rapport entre une fréquence $f_1$ et une fréquence $f_2$.
Fixons une fréquence fondamentale $f_0$, et nommons les harmoniques correspondantes par leurs coefficients multiplicatifs $1, 2, 3, \dots$ Le point (2) conduit à formuler la thèse suivant laquelle la qualité d'un intervalle, c'est-à-dire d'un rapport entre fréquences, est proportionnelle à la densité de rapports similaires dans la série des harmoniques.

Regardons le rapport d'unisson, $k = 1$, et comptons le nombre de relations d'unisson qui existent entre les fréquences $1, 2, \dots, n$. Chaque fréquence $j$ est en relation d'unisson avec elle même, et on dénombre donc $n$ relations d'unisson dans la série $1,2,\dots,n$. Pour le rapport d'octave, $k = 2$, chaque fréquence $j$ est relation avec la fréquence $2j$. Le nombre de telles relations dans la série $1,2,\dots,n$ est donc $n/2$. En itérant l'argument, on trouve que le nombre de relations similaire au rapport $k$ dans la série $1,\dots,n$ est $n/k$.

Autrement dit, les densités de rapports d'unisson, d'octave, de quinte, etc. sont respectivement $1, 1/2, 1/3,$ etc. Ainsi donc la prépondérance de la densité d'un intervalle dans la série harmonique justifie sa consonnance relative.
Z. Groebnesch

***

Mon dieu, et dire que la chose fut si simple :O Soit ! Nous devrons, chère lectrice, cher lecteur, garder précieusement ces sages calculs au creux de notre coeur. 

Cependant, et surtout, lectrice, lecteur: ne vous fiez pas à l'apparence d'ironie dans mon propos. Simplement, ma prose boiteuse m'empêche de peindre avec justesse mon authentique intention, savoir une demi-ironie. Chose difficile.

Ce furent en tout cas de belles retrouvailles ! Salutations !
Scons Dut