samedi 24 décembre 2016

Dis-moi

Nous nous sommes
    tous
fondus si intimement les uns dans les autres.

Et les paroles
    comme les poules 
    impatientes devant le grain
ont quitté volantes
les langues des palais.

Ô familière étrangeté
    serait-tu ainsi le lieu
    où je fus jadis ?

Visiteurs et promeneurs
Nous arrivons ensemble
Mais cette maison
    ces portes bleues
    le crépit rosacé
    que mouchète
    le rayon jaune et gras du soleil couchant,
Cette maison
    je l'ai habité.

Quand ? ... ô mémoire
Dis-moi, ma Muse
    ma Muse en goutte au coin de mon oeil
Raconte Moi.

Tu m'as vu, n'est-ce pas ?
Quelque part, autrefois
     tu m'as vu
Sur le  fauteuil en balance
     et le va-et-vient
     le flux le reflux.

Je me souviens maintenant
    ma douce lentille d'eau
Nos regards se sont noués
Sous le tilleul parfumé
En ce temps, en ce lieu
    indistincts.

Voici l'écho revenant de nos regards
Comme un noeud d'enfance
    au seuil de nos jours ici-bas.

Parle-moi encore, Muse.
Raconte la cendre et la lave
    sous la tombe.

Et le cratère témoigne de notre lignée.
Fûmes-nous Anges
    abreuvés au tranquille Léthé ?
Fus-tu l'aile en miroir
    de mon aile ?
Au battement subit,
    soulevé la dalle de pierre
et la chose
    la plus importante
sombra dans l'onde sourde.

Muse, l'as-tu recueillie
    sur ta paume 
    comme une rose
la chose de la mémoire ?

Glisse alors, je te prie, ce berlingot
     dans ma bouche en puit.
Qu'il opère la métamorphose
    de l'eau claire comme une pierre froide
    en lave jaillissante !

Je fus et serai de tes lèvres
    le Volcan.

sd

jeudi 15 décembre 2016

Variations sur Narcisse et Orphée

Lentement, s'évapore
                   la flaque d'eau

où baignent encore
quelques grains de café noir et doux.

*

Et les reflets contenus,
                    ton image à la mienne mêlée

(mais est-ce ton image ou la mienne seulement ?),
s'estompent.


*

J'émerge 
                     craintive

de la surface et rejoins
l'air libre, pur et vide.


*

Et je sens
                    de ma main close

derrière mon dos
sombrer la pierre.

*

Sémaphore
                     de ton visage

de ta bouche 
ouverte et silencieuse.

*

Je me suis retournée
                      et le gouffre

autrefois caverne adamantine
s'est scellé de tes bras.

*

Rendu opaque
                       épaissi du marc de café

le disque d'eau
s'est fait pierre et tombe.

*

Et moi, vendue
                        à l'air libre, pur et vide

Je ne te vois plus
ou presque.

**

Presque. Ton image évaporée
insigne à perpétuité flottant
je le sais
stille en toute chose désormais
dispersée par les fleuves sous-terrains
aux racines des vivants
image de vie toi-même
vent soufflé sur toute la terre
comme le parfum extase
sur le pétale roulant de la rose

j'irai partout
à ta rencontre
célébrer ton baiser


ô ma reine déchue
par mon chant
je rassemblerai 
des coins et plis au drap du monde
tes membres épars

et soufflerai l'ode
dans la voile de ta barque
sur l'onde étoilée de grâce
onde par toi-même
répandue.

***

(murmurante mousseline)

je t'aime
                ***

mon amour vibrant
si mort si vivant.

sd

mardi 13 décembre 2016

Pétroglyphe

Ô ... quel ange fit pleuvoir
sur ton front
le condensat de la création ...

Par ce geste, tu devins
           signe
mon               signe ...

Signe s'emparant de tout vivant
          au babil incessant

comme le clapot taquin du ruisseau va répétant les pierres blanches, les racines des hauts pins, et les volumes de vent brassés.

Signe de ton visage
ô Muse incorporée
rumeur ...
                  rumeur de quoi ?

beauté mystérieuse
éloge de la nuit
ô mon amour timide, à peine révélé sous le voile Ineffable.

Signe indéchiffrable.

La Lune répand sa lumière crue
de poussière blanche et bleue sur la pierre.

Des nuages traversent le ciel.

Et l'ombre sur ton pétroglyphe,
se fait, et se défait,
se fait encore,
    et se défait finalement.

Et mon coeur d'eau,
    comme l'océan,
se soumet à la marée ...
s'élève, et chute,
s'élève encore,
    et chute pour de bon.

sd

dimanche 11 décembre 2016

Les Pages Ratées – Traces, Conrad Ferdinand Meyer

Traces

C'était il y a longtemps. Je te raccompagnais
À la maison voisine dont tu étais l'hôte,
À travers la forêt. À cause de la bruine,
Tu relevas le capuchon de ton manteau
Et ton regard, sous le front caché, était triste.
Le chemin était si boueux que les semelles
Marquaient profondément le sol humide
À chaque pas. Tu marchais sur le bord,
Parlant de ton voyage. Il y en aurait ensuite
Un autre encor, plus long, me disais-tu.
Puis nous avons plaisanté, assez sages pour
Nous cacher qu'approchait l'adieu; tu me quittas
Là où le faîte émerge au-dessus des ormes.
Sans hâte, je refis la même route,
Vaguement ivre encore de ta grâce,
De ta sauvagerie, et je ne doutais pas,
Dans mon bonheur, que notre revoir ne fût proche.
Flânant tout à loisir, je voyais en lisière
La forme de tes pas encor visible
Empreinte dans le sol mouillé de la forêt.
Signe de toi, le plus petit, le plus fugace,
Tellement toi pourtant : marcheuse, voyageuse,
Sombre comme forêt, mince, pure, si douce!
Les traces maintenant venaient à la rencontre
De celui qui faisait la route en sens inverse :
Et de ces traces tu naissais, tu revenais
Devant mon oeil intérieur. Je retrouvais
Ton corps, avec la tendre courbe de tes seins.
Tu passais devant moi comme dans les rêves.
Les traces maintenant devenaient floues,
Brouillées par la pluie qui tombait plus fort.
Alors, je sentis la tristesse m'envahir :
Car, presque sous mes yeux, allaient disparaissant
Les traces de tes derniers pas à mes côtés.

Conrad Ferdinant Meyer,
trad. Philippe Jaccottet, 
extr. D'une lyre à cinq cordes.

*

Alors alors, que se passe-t-il ? Il s'agit encore d'une plainte. L'élégie a bon dos ces temps-ci. L'a-t-elle quittée pour un autre, ou pour cet Autre ultime, contre qui aucun amant ne rivalise ? Ah pauvre poëte ! Mais pourquoi user tes pieds dans cette neige de cendre ? Il devrait craindre sur la peau de son coeur la corne que ne manquera pas de susciter cette marche sportive.

Réveille-toi, voix singulière ! Tu as exprimé ... pardon ... tu as exhalé l'ombre de ses pas, ses derniers qui, jamais ne se retournent. Tu as ... tu as contenu l'immensité de son âme comme l'empreinte sous la neige. Lentement, l'air floconne, et sa voile blanche et laineuse a tôt fait d'emporter sa barque le long du fleuve sûr et serein.

Trop, il y en a trop. Brisons le mécanisme métaphorique, cette pompe à intuition. Voilà, ce qu'il est recommandé d'écrire :

On a marché tous les deux. Tu m'as quitté. 
Moi, je suis rentré seul. 
Sans te quitter.

sd, sous le voile, touchée.

vendredi 9 décembre 2016

Verseau

Je verse dans la vasque
         mon eau.
Approche
         noix d'amande.
Trempe la pointe de ta coquille.

Ne sens-tu pas ?
          l'onde gracile répandre
          molesse et langueur dans tes membres,
Et défaire,
          comme le doux zéphyr
          les feuilles argentées de l'olivier,
l'attache de ton voile.

Lentement, fondre,
           comme un sucre,
le rempart boisé contre ta peau.

Ainsi soit l'eau de ma parole,
            ô toi, ma noix, ma coque, sirop des châtaigners,
            tendre densité hors de moi.
Répandons-nous, mêlées, sur la table boisée.

Que le monde innocent goûte notre fraîcheur gourmande de pluie.

sd

mercredi 7 décembre 2016

Quelques sonnets approximatifs

Je me suis exercé à une forme simple de sonnet, en reprenant, en creusant, une très belle image que me souffla grâcieusement mon nuage d'automne. Ainsi s'agit-il d'une sorte de composition à deux.

Ce fut pour moi très instructif, l'occasion d'absorber plus intimement encore les particularités rythmiques de l'alexandrin, l'alternance de rimes pseudo-masculines/pseudo-féminines, l'élision de l'e féminin à la césure, etc. Je n'ai pas la force aujourd'hui d'exposer toutes les tracasseries techniques. Sachez, en tout cas, chère lectrice, cher lecteur, que c'est la première fois que je rumine autant un texte avant de l'exposer (certains de ces sonnets ont requis une bonne après-midi de décompte, de consultation encyclopédique, etc.). Que voulez-vous, quand j'aime, je compte mes pas.

Sur ce, trève de courbette, et de notes d'intentions.

*

Il souffle sous ma peau une flamme d'automne,
Caressante brûlure en fétu fleurissant,
Et dans mes veines d'eau se déverse et bourgeonne
La maille d'or blanchi de ce feu blondissant.

Mon pas, lourd, comme l'eau sous la pierre abyssale
Enfonce une racine en l'humus déflétri,
Lasse, aveugle et souffrant le filet baptismal
D'une source salée depuis longtemps tarie ...

Ô douloureux rameaux de ma métamorphose
Et les noeuds  de ma chair en lignification
À mon coude, à ma main, à mes fins doigts de rose,
Voici donc l'effet, Feu, de ta supplication,

Quand de ma peau transpire et l'ambre et la résine
Souvenir de ma chair, de mon eau purpurine ?

*

Écorce craquelée de sève en crémation
Qui trace le réseau de mailles arachnides
Où perle la résine en sainte immolation
Où tombera l'abeille au miel noir de Chalcide.

Ô abeille liée au gouffre fleuri d'yeux
Prisonnière des rets de cendres et d'étoiles,
Nuit théorique où git, météore des dieux,
Ton charbonneux écrin, le sucre de ta moelle.

Adieu, bulbe noirci sous la cloche d'airain,
Cataracte de fer sous d'ardentes nuées
Je m'ouvre comme toi, reine en cendre muée
Air subtil pénétrant le musc de ton écrin,

Me voici encensoir de douloureuse absence,
Au creux d'air calciné promenant mon essence.

*

Ô essence dans l'air où s'évase le grain
Promesse de brasier aux feuilles de mes frères
Tilleul, orme, bouleau, et le chêne serein
Tous brûlent maintenant d'un soufre délétère.

Et l'aigle qui détoure un cercle fin d'azur
Et la noble lignée des astres qu'il charrie
Ceuillent en ce bois noir le signe clair et pur
D'étoiles dissipées en ineffable nuit.

Il règne désormais sur la joue de ce monde,
Bouillonant jadis d'or en gras faisceaux de blé,
Une béance ignée de nos cendres féconde,
Que le chant du Phénix même ne peut combler.

Ô abeille cendrée, reine aux rayons suprêmes
Rouvriras-tu un jour sous ce feu ton oeil blême ?

*

Que reste-t-il encore en ce lieu dépeuplé ?
Rien, sauf peut-être un signe, une pointe dansante
Un bulbe lumineux sous la pierre écroulé
Vif témoin de ta braise à ma lyre impotente.

Signe de sève où roule un vétuste château
Traversé de l'Euros  en promesse d'hiver,
Qui de sa gorge blanche efflorant son étau,
Emprunte au noble alcyon sa plainte salutaire.

«Ô reine consumée, dressée du signe absent
Toi, ma cendre, mon bois, ma feuille, mon pistil
Traversée de présence en coquille de son,
Éclate encore, pierre, en alvéole d'îles,

Coquilles de ma sève à ta ruche liée,
Et jaillis, Reine d'or, de ton ombre noyée.»

*

Hélas, rien ne répond à ma sève qui coule,
Ce chancelant reflet du fol écho des dieux.
Rien ne répond, et tout à mes branches déroule
La guirlande brûlante en perles à mes yeux.

Ma sève desespère au goulot d'alambic,
Ce creuset silencieux stillant de firmament.
Et l'ombre d'une étoile, et l'ombre de ton pic,
Finissent d'assommer le front de mon tourment.

Las! Empierrant mon coeur de lierre décisif,
Coeur-amande brûlée, de ta cendre nourrie,
J'établis le rempart, la muraille, le récif
Autour du puit d'oubli où je tombe en scorie.

Ô adieu vaste monde aux écloses frontières
Je me tais, désormais, en silence de fer.

*

Mais ... mais quel est ce son qui vole jusqu'ici ?
Ô familier bourdon noir de ma solitude,
Est-ce toi ? ou alors, mon oreille durcie
Qui embourbe, encloché, le fil de ma quiétude ?

Ô, je te reconnais, signe de son aura !
Moi, dans la sève d'or écoulée en mirage
Moi, qui me scellait presque à l'ombre de mes bras
Mais, pas assez, oh non, pour bannir ton image !

Et me voici de l'air d'absence revenu,
Je retrouve mon tronc, mon bois, ma densité
Par le seul battement de tes élytres nus.

Ô, ma reine, ma source à ma paume abreuvée,
Ô miracle de l'eau où je trempe la fresque
De ton oeil, de ton or, de toi qui partais
                                                                  presque

L/SD

L'aigle

L'aigle fatigué
a manqué sa proie.

Elle s'est réfugiée sous la pierre.

Depuis,
Il poursuit son vol inéluctable.
Il examine la vaste plaine
          et sait
que l'objet de son désir s'y cache
          et sait
que l'orbite de son vol défera sa nécessité,
que son ventre s'engloutira lui-même,
qu'il complétera sa course,
           rectiligne,
dans les hautes herbes,
parmi les pierres comme des os,

abattu.

Là,
L'oeil rouge fixé sur la pierre,
Effacé d'air sous son aile,
Il la verra. Peut-être.

 *

Je sais, je sais, c'est encore morbide ... mais ces écailles se détachent d'elle-même. Ou bien, je me tais, ou bien je déploie ces peaux serpentines.

sd

lundi 5 décembre 2016

Et toi, Poésie

Et toi, Poésie,
Que j'honore si peu
Et qui me sauve pourtant
              (jusque quand ?)

Je jure de ne pas ...
De ne pas ...
Défaire le noeud de vie autour de mon cou

Avant d'avoir
          une seule
          une seule fois
Chanté.

sd nodale

dimanche 4 décembre 2016

Bulots

L'hôte, le mangeur
Découvre son plat de bulots, 
Se saisit du plus beau coquillage, 
Et plante sa fourche.

Malheur ! La coquille est vide ...

Triste, il se mue en poëte.
Puisque seule, peut-être,
La poésie peut opérer la métamorphose
De cette empreinte de circonvolutions régulières,
De la chair absente,

En ce goût subtil
De noisette et de beurre persillé.

sd encoquillée

jeudi 1 décembre 2016

Repose-toi

Repose-toi,
    coeur à l'eau
    battu des flots de ta mémoire
    geyser brûlant de l'anamnèse
Le combat, tout le jour, fut rude

Alors
    repose-toi.

Demain, ou après-demain,
   tu vaincras.

Va!

Va! Inconsciente,
Répandre publiquement ma honte.

Je marcherai alors
Comme nue
Sur la voie principale
Accueillant le jet poisseux de l'opprobre.

Si tu étais mauvaise,
Ce serait pour toi jubilé.

Mais, je l'ai vu
Le fond de ton coeur est bon.

Alors, pour toi,
Je pleurerai sous les coups reçus,
Ces coups qui, ne m'atteignant pas,
Frapperont de leur éclat sauvage
La cloche de tes yeux.

Et ma plainte sous la massue et le clou,
plainte non de moi,
Perpétuera sonore
Le tintement saccadé
Des grelots à tes cils.

Et mon souffle, 
Ton dernier,
Exhalera une bise en soupir
De ta bouche entrouverte,
Ta bouche tombe de mon roseau.

sd