dimanche 11 décembre 2016

Les Pages Ratées – Traces, Conrad Ferdinand Meyer

Traces

C'était il y a longtemps. Je te raccompagnais
À la maison voisine dont tu étais l'hôte,
À travers la forêt. À cause de la bruine,
Tu relevas le capuchon de ton manteau
Et ton regard, sous le front caché, était triste.
Le chemin était si boueux que les semelles
Marquaient profondément le sol humide
À chaque pas. Tu marchais sur le bord,
Parlant de ton voyage. Il y en aurait ensuite
Un autre encor, plus long, me disais-tu.
Puis nous avons plaisanté, assez sages pour
Nous cacher qu'approchait l'adieu; tu me quittas
Là où le faîte émerge au-dessus des ormes.
Sans hâte, je refis la même route,
Vaguement ivre encore de ta grâce,
De ta sauvagerie, et je ne doutais pas,
Dans mon bonheur, que notre revoir ne fût proche.
Flânant tout à loisir, je voyais en lisière
La forme de tes pas encor visible
Empreinte dans le sol mouillé de la forêt.
Signe de toi, le plus petit, le plus fugace,
Tellement toi pourtant : marcheuse, voyageuse,
Sombre comme forêt, mince, pure, si douce!
Les traces maintenant venaient à la rencontre
De celui qui faisait la route en sens inverse :
Et de ces traces tu naissais, tu revenais
Devant mon oeil intérieur. Je retrouvais
Ton corps, avec la tendre courbe de tes seins.
Tu passais devant moi comme dans les rêves.
Les traces maintenant devenaient floues,
Brouillées par la pluie qui tombait plus fort.
Alors, je sentis la tristesse m'envahir :
Car, presque sous mes yeux, allaient disparaissant
Les traces de tes derniers pas à mes côtés.

Conrad Ferdinant Meyer,
trad. Philippe Jaccottet, 
extr. D'une lyre à cinq cordes.

*

Alors alors, que se passe-t-il ? Il s'agit encore d'une plainte. L'élégie a bon dos ces temps-ci. L'a-t-elle quittée pour un autre, ou pour cet Autre ultime, contre qui aucun amant ne rivalise ? Ah pauvre poëte ! Mais pourquoi user tes pieds dans cette neige de cendre ? Il devrait craindre sur la peau de son coeur la corne que ne manquera pas de susciter cette marche sportive.

Réveille-toi, voix singulière ! Tu as exprimé ... pardon ... tu as exhalé l'ombre de ses pas, ses derniers qui, jamais ne se retournent. Tu as ... tu as contenu l'immensité de son âme comme l'empreinte sous la neige. Lentement, l'air floconne, et sa voile blanche et laineuse a tôt fait d'emporter sa barque le long du fleuve sûr et serein.

Trop, il y en a trop. Brisons le mécanisme métaphorique, cette pompe à intuition. Voilà, ce qu'il est recommandé d'écrire :

On a marché tous les deux. Tu m'as quitté. 
Moi, je suis rentré seul. 
Sans te quitter.

sd, sous le voile, touchée.

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