mardi 21 mars 2017

Quelques flocons

Un soir au milieu du chemin de cette vie
Je retrouvai l'enclos fleuri de ma mémoire.
Princes, Vicomtes, Ducs, échangeaint leurs avis,
Haute noblesse acquise au croissant d'or du soir,
Qu'un zéphyr délicat baignait d'un encens bleu.
Au centre, un cerisier noué de rameaux noirs
Siégait, durci, muet, impassible et calleux.
Une infante tout près reposait, pensive,
Un silence de plomb pendait à son oeil bleu.
Elle offrait à ma main une courte missive.
Enveloppée, presqu'effacée, elle disait:


« Ô bel ange aux belles boucles noires, ange rieur, enchanteur des cours de récréations. comme je riais à tes tours et à tes farces. comme je m'enorgueillissais de nos secrètes transactions.  ô mon ange, aux ailes d'ombre douce, qui par un prompt mouvement, prépara l'alcôve, et contre mon ventre que tu t'offrais, moi, indécise, innocente, stupéfaite de ta divinité, je plonge mes yeux dans tes belles boucles noires, ces belles boucles noires, haletantes, douce fourrure trépignant contre ma peau. et mes mains le long de mon corps, immobiles, et mon regard arrêté au rideau de tes belles boucles noires, et – comme c'est étonnant – je me découvre un organe inconnu, par lequel je sens, sans voir, sans toucher, le rayonnement gracile de tes blanches dents. ô mystérieux spectacle d'ombres... ainsi aurais-je eu contre le ventre le visage d'un ange. »

Ô chère enfant liée aux Moires décisives,
Ainsi fut ton organe, innocent, et brisé
Englouti, sacrifié. Qu'espérer en retour ?
Qu'attendre de ce trou à ton corps baptisé ?
Une porte scellée de ton sang noir et lourd ?
Ô non, si tendre enfant, un puit, un profond puit
Aligné au rocher où ton eau claire sourd.
Une bouche en cristal d'où ton image luit,
Comme un fin filet d'eau qui s'en va grandissant
Et s'épand et abonde en un fleuve gratuit,
Où retentit l'écho, où resplendit l'accent
Singulier de ta voix. Sur ta peau gît la trace
De frictions répétées, de mouvements océans
Aujourd'hui retirés. Et là, comme l'anthrax,
Révélant au Soleil les cendres de ta loi,
Patiente encore, ô tendre enfant, honore ta race,
La noblesse alignée des princes et des rois,
Les pierres de montagne élevées au zénith,
La généaologie minérale où ondoient
Sous l'oeil profond du ciel leur bouquet de pépites.
Endure encore, ô tendre enfant, et ne crains rien.
Des mouvemements secrets en toi se précipitent,
Et ils t'éléveront aux grands sommets alpins,
Où floconne éternelle une neige sereine.
Vous tisserez pour elle un manteau aérien,
Un linceul bleu azur pour ses doux yeux de reine.
À sa bouche qui parle, retirez, je vous prie,
Auditeurs attentifs, le dur sel de ses peines.
Ajoutez seulement quelques flocons épris
De neige printanière. Accueillez une voix.

Ma voix.


sd